Le TOR Vivaldi



Le TOR Vivaldi


Jeudi 28 février 2019- 15h03 – « Ciao Sylvain Félicitations – Tu as été sélectionné pour participer au TOR des Géants 2019 ». Je pleure sur mon canapé, je suis sélectionné ! Laeti assoupie à côté me félicite, est émue, sait ce qu’un TOR représente.
Le TOR des Géants est un monument de l'ultratrail mondial, c’est le rêve d’une vie (d’ultra traileur). Comme un voyage aux Maldives (pour certains), un concert d’Ariana Grande (pour d’autres), une rencontre avec Kim Jun Un (pour un con). 
Le Graal pour annuellement 2 500 candidats à sa participation (seuls 2 500 veulent s'y frotter...).
J'ai la chance d'être sélectionné, pour les 10 ans de l'épreuve, parmi 960 participants venus de 72 pays différents.
C'est en Val d'Aoste, dans les Alpes italiennes, juste derrière le Mont Blanc. Cette année il est donné pour 356 kilomètres et 27 400 m de dénivelé positif et négatif. 25 passages au-delà de 2000 m, plusieurs au-dessus de 3000 (passage culminant à 3300).

Dimanche 8 septembre 2019 – 12h43 : j’ai eu 6 mois pour me préparer. A mes côtés dans le sas de départ  d’autres copains finishers de la Swiss Peaks 360 l’année dernière (Anthony, Apostolos, Emilie, Raphaël, Miguel), Raph le pote d’Antho avec qui j’ai partagé mes deux jours d’avant course, et tant d’autres concurrents qui attendent ce moment depuis des mois voir des années. Le TOR se mérite. Nous y sommes, mais j’ai toujours du mal à percuter.

La musique, les speakers, les nuages qui jouent avec le soleil, les regards, les sourires et Courmayeur habillée (habitée) des couleurs du TOR.
 Raph, Antho, Sylvain

 Raphaël, bibi, Miguel

Emilie et Apostolos

Le drapeau vendéen fièrement tenu par Raph

Section 1 : Courmayeur – Valgrisenche : Quel hors d’œuvre !

Cliquer sur les cartes ou les photos pour les agrandir
Midi, pile, c’est parti pour quelques jours dans les Alpes. La foule est dense pour nous encourager dans la traversée de la belle Courmayeur, les frissons…je percute, jusque là je n‘y étais pas, mais là…çà y est. Au détour d’un virage un spectateur nous crie « bonnes vacances ! ». Tellement vrai. Des vacances singulières oui, mais ce sont nos vacances.
La météo nous a avertis qu’elle sera taquine. 2 kil après le départ fait bras nus, elle nous arrose de gouttes vivifiantes, juste avant d’entrer sous le couvert des bois et le début du hors œuvre qu’est le col d’Arp. Nous sommes prévenus par la météo locale de 3 premiers jours particuliers, avec des chutes de neige et des températures largement négatives là-haut, mais il est difficile de s’en faire une raison en bas dans la vallée.
Cette première ascension de 1300 m D+ pour 8 kilomètres se fait bien entendu à la queue leu leu. L’occasion de dérouiller les jambes et de papoter avec les copains. Antho mon comparse de la SP360 et Raph’ son pote vendéen. Raphael Curtil et son mais argentin Miguel, que j’avais aussi côtoyés, sur la SP sont avec nous. Nous progressons ensemble calmement, très sereinement. La température baisse rapidement. A la sortie du bois, qui marque la limite des 2000m d’altitude, même moi suis contraint de sortir le coupe vent pour contrer la pluie froide. A 2100 les premiers flocons apparaissent ! Dingue, on est début septembre, mais le Mont Blanc si proche influence sur ce côté du massif. 

Les flocons se transforment en neige régulière qui commence à maculer le sol. A 2300 nous sommes passés en hiver. A 2500 le sol glisse et certains chaussent les crampons. La température ressentie doit être de -3°C. 
 Miguel, comme à l'Aconcagua :)

Le col est au fond

En se retournant l’on voit l’autre versant de Courmayeur complètement ensoleillé, tout comme la vallée. Complètement dingue, magique. Tous sommes surpris mais heureux de cet évènement. A ce stade, cela n’affecte personne. Le TOR nous donne sa première surprise et rien que pour çà, il est réussit.
Col d’Arp – 2571 m. 14h15. 
 
On bascule dans la descente enneigée. J’ai l’impression de courir un trail blanc. 




Les paysages alentours nous sont cachés, mais la course est bien lancée. Malgré la neige la course est possible et avant le ravito de Baïte Youlaz la neige n’est plus. Avons-nous rêvé ? Je descends avec Antho. Raph’ est un peu devant. Le chemin n’est pas technique et nous amène tranquillement au ravito de La Thuile où il fait bon, accueillis par nombre de spectateurs, à 15h42. 10 minutes de ravitaillement et avant de repartir je montre les photos du col à Jean-Luc l’ange gardien de Fred Gil. En effet il leur est difficile d’imaginer ce que nous avons eu là-haut.
D’ici nous engageons une longue montée de 9 kil et 1400 D+ jusqu’au col du Haut Pas. Cheminement là aussi en sous bois puis en haute montagne. 
Vue au loin sur le col enneigé que nous avons quitté, et en bas le ravito de La Thuile


Pente prononcée mais régulière offrant de magnifiques points de vue, notamment juste avant le refuge Deffeyes avec des zones humides d’altitude. 
Féérique

Nous rencontrons nombre de randonneurs en ce dimanche qui nous encouragent systématiquement. Incroyable de ressentir depuis notre arrivée vendredi la ferveur de la vallée pour cette course. Le TOR est affiché partout et est sur toutes les lèvres. La vallée vit pour la course. Nous nous sentons portés alors que nous sommes simples amateurs. Des valdotains nous expliquerons plus tard que les concurrents du TOR sont appréciés car ils aiment la montagne. Et le val d’Aoste est une région singulière d’Italie, habitée de montagnards.
2500 m Refuge Diffeyes – 18h35. Il ne fait pas bon s’arrêter longtemps à ce ravito car il fait bien froid. Le temps de mettre un peu les jambes en l’air, de faire mes premiers étirements et de m’enfiler du bouillon, coupe vent et gants. 

Refuge Diffeyes


Nous entrons enfin en haute montagne pour aller jusqu’au Haut Pas. Ca pèle sévère mais le rythme de la montée nous réchauffe.  




2860 m col du Haut Pas. C’est minéral tout autour. Le jour commence à tomber, je fais une croix sur mon espoir d’arriver au prochain col de jour. La descente est bien minérale jusqu’à Promoud. 800 m de D- un peu technique. 
 La descente vers Promoud
Les trailers la parsèment

A droite le col de Crosatie qu'il nous faudra aller chercher depuis la foret

Entre ces montées et ces descentes ont peut percevoir de grandes disparités de niveau technique entre les concurrents. Les descentes et les montées ne sont pas appréhendées de la même manière. De sorte l’on se retrouve à faire des chassés croisés réguliers ente nous. Sur la crête en face, où nous allons, la lune pleine s’est posée. Clin d’œil tout en délicatesse nous laissant présager une nuit froide.
La lune, posée

Ravito de Promoud, il fait nuit. J’y suis avec Antho et Raph’. J’y retrouve Vittorio, concurrent italien (finisher SP360) qui a terminé l’UTMB il y a deux semaines et débute le TOR avec la fièvre. Les premiers signes de fatigue se font sentir chez certains. 
Nous sommes toujours en rangs serrés. On n’égraine pas comme çà 1 000 concurrents. Là haut les lumières des frontales qui indiquent le passage vers le 3° col de la journée. Montée raide de 800 m positif sur 2,4 kil. Un bon raidard !!! Où chacun s’entraide et se motive. Là çà devient rude, mais l’on gagne vite du dénivelé, et çà me plaît. La file des frontales s’étire du haut du col où nous allons à celui d’où nous venons. La montagne dégueule de concurrents, c’est impressionnant, et rassurant de voir que nous ne sommes pas derniers.
Col de Crosatie 2829 m atteint vers 21h15. 3 cols de faits dans l’aprèm, déjà 3500 D+ franchis en 36 kilomètres. C’est énorme et pourtant ce sera notre lot de tous les jours. Il va falloir s’y faire.
Au début de la descente l’on trouve la stèle du coureur chinois décédé d’une chute il y a quelques années. Cela remet l’église au centre du village et me fait redoubler de vigilance. Longue descente vers Planaval désormais, peu technique, qui nous permet de courir. Néanmoins je m’aperçois avec cette demie journée de course que le TOR que l’on me disait roulant et moins technique que la SP reste un sacré morceau. Je ne l’avais pas pris à la légère mais je me dis qu’il faut que j’oublie les à priori si je veux rester dans la course et ne pas me faire surprendre par les difficultés. Oublier les infos passées et gérer le présent.
Planaval arrive enfin à 23h au son des cloches valdotaines. Il y a même de la route pour nous y mener. La première base de vie de Valgrisenche n’est pas trop loin et j’y vais en conversant avec un concurrent parisien. Le plaisir de l’ultra long est là : avoir ses moments de solitude comme ceux de rencontres avec de parfaits inconnus avec qui l’on passe le temps et qui parfois deviennent des amis. Antho et Raph’ sont juste derrière. Raph’ qui vient sur son premier ultra distance (au-delà de 200 kil) m’épate. Il est très serein depuis vendredi, gère très bien les étapes, son matos et son moral. On dirait déjà un vieux de la vielle.
Base de Vie de Valgrisenche, la première des 6. Fin de la première section. Sur le TOR l’usage est de sectionner en 7 parties, que ponctuent les bases de vie. Les parties impaires (1, 3, 5 et 7) sont dites les moins difficiles. Il faut donc repartir en forme avant une section paire, et celle qui nous attend n’est pas piquée des vers. Nous prenons donc 1h10 pour nous y restaurer, nous changer et recharger les différentes batteries. Un peu compliqué car étant au milieu du peloton (400° place environ) il y a beaucoup de monde et l’on se marche dessus. Heureusement l’escouade des bénévoles est efficace au possible. Tant sur le don ou la récupération des sacs, que pour la nourriture, le nettoyage, ou nous indiquer où aller. Ils sont au top. 
Nous ressortons à 01h40. Il va falloir enchaîner aujourd’hui  3 cols marquants du TOR, avant de retrouver ce soir une autre base de vie.
Section 2 : Valgrisenche - Cogne : Le froid !
Tout d’abord le col Fenêtre à 1000 m au-dessus. Nous atteignons le refuge du Chalet de l’Epée vers 3h30 du mat’ à 2366 m d’altitude. Il fait très froid. La température ressentie avoisine les -10°C, tout est givré alentour. Je ne suis pas frileux et n’ai pas besoin de m’équiper à bloc, mais çà pique. Au moins çà nous tient éveillés…
Doucement la pente s’élève et nous atteignons le col Fenêtre 1 h plus tard. Le froid est plus intense, certainement proche des -14°C ressentis. Vite basculer dans la descente pour perdre de l’altitude et se réchauffer. Impressionnante descente. Des courts lacets dessinés quasi à la verticale dans ce goulet. De nuit c’est moins prenant, mais tout de même… J’ai du m’arrêter quelques fois en montant et Raph’ et Antho sont quelques centaines de mètres devant moi. A l’aise dans la descente et voulant les rattraper je me retrouve coincé par un type au rythme très lent qui fait bouchonner 8 concurrents derrière lui. Aucune possibilité de doubler, lui n’en démord pas. Je dois prendre mon mal en patience durant près de 20 minutes et cela m’exaspère. J’en profite pour récupérer.
Nous arrivons à Rhèmes Notre Dame à 5h49. Il fait toujours aussi froid même si descendus à 1738 m d’altitude. Les corps et les visages commencent à être marqués. Je n’ai pas sommeil mais je dois manger et m’étirer. La pièce est trop exigüe. Je ferai cela dehors en attendant mes 2 comparses. Raph’ arrive à faire un micro-sommeil de 5 minutes la tête sur la table.
6h30 les premières lueurs marquent notre départ. Le froid est terrible, saisissant, comme souvent au petit matin. Nous repartons tous les 3 dans la foret, puis rapidement dans de magnifiques prairies d’altitude. 

Derrière nous le soleil éclaire

Vue vers le col
Autour le soleil commence à éclairer les sommets, la magie opère. La montée de ce 2° col de la journée ce n’est pas rien : le col Entrelor qui pointe à 3002 mètres est un D+ de 1300 m sur 5,7 kilomètres. Un sévère droit dans la pente qui cartonne bien. Plus nous montons plus la pente se durcit, plus il fait froid et plus l’altitude se fait sentir. 


La fin de l'ascension

Tout est gelé, givré, silencieux. Il fait vraiment très froid et à quelques encablures du col nous sommes toujours au-delà des -10°C ressentis.
3000m, comme un clin d’œil le soleil nous attend au col. 



J’y savoure bonbons et compote portés là-haut, et surtout un paysage grandiose sur la suite du parcours. Nous descendons quelques mètres nous poser à l’abri du vent. En quelques minutes nous sommes passés de -14°C à +5°C.  



Je peux tomber le coupe vent et rester en t-shirt et manchettes. Le béret ne quitte pas ma tête, me protégeant du soleil, du crachin, de la pluie et m’attirant la curiosité des participants et spectateurs. Tout y passe : basque, béarnais, savoyard et même marseillais. 


La cahute jaune des bénévoles au début de la chouette descente

La descente de 1300m vers Eaux Rousses est agréable et même courable. Paysages somptueux. Nous ne sommes pas encore à 24h de course mais avons l’impression d’avoir tant fait déjà. Je me dis pour ma part que ce TOR il va falloir se le gagner. Ce n’est pas du tout cuit, le chemin est long et bien technique. 



Je ponctue cela de myrtilles et fraises des bois qui parsèment la foret que nous  traversons. Il fait presque chaud quand nous arrivons à Eaux Rousse, à 11h25 à la 332° place.
Derrière c’est le très haut col de Loson qui se profile. Alors nous prenons le parti de bien manger et de faire une petite sieste de 30 minutes au soleil avant d’y aller. 24 heures de course passées sans dormir, faut pas abuser de trop non plus. 



13h10 : après 1h30 d’arrêt et avec 8h20 d’avance sur la barrière horaire nous repartons dans le joli boisement. Nous y doublons Eric l’ultime finisher de la SP360 que nous rassurons sur les barrières horaires.  


En se retournant : la descente faite ce matin (le col Entrelor est à gauche)

Ce col Loson que nous commençons à cheminer est le plus haut de la course. Depuis Eaux Rousses c’est un 1600 positif sur 12 kil, donc une pente assez douce, mais du coup une section qui peut paraître très longue. Nous y rencontrons des bénévoles attablés à un gîte, à faire bombance d’une tarte aux myrtilles chez qui je fais mine de m’inviter, puis plus loin une harde de chamois et de bouquetins. 



Le paysage est magnifique et vaut à lui seul le détour. Nous sommes encore assez nombreux à nous suivre, même s’il n’y a plus de concurrence directe. Chacun est maintenant dans son rythme. Je vais faire la montée de mon côté. Je ne m’occupe pas trop d’Antho et Raph’ car je sais que l’on se retrouve régulièrement à la faveur de mes nombreux arrêts pipi, photo, sms, téléphone ou contemplations. Je pars donc devant faire cette interminable montée qui me plait beaucoup. 



Des lacets en pente douce à n’en plus finir qui débouchent sur de multiples paysages, sans nous laisser apercevoir le col de sortie, mais qui en nous faisant monter lentement nous habitue à l’altitude. Je double nombre de concurrents, aucunement pour gagner des places mais seulement car je suis bien dans mon rythme. 

Au bout de plusieurs heures nous avons enfin vision du passage final. Très raide sur quelques centaines de mètres, et enneigé. 

L'on distingue à peine les traileurs au passage du col
La température est supportable (4-5°C) mais il est presque 17h et la neige commence à geler. Cela passe sans crampons grâce aux bâtons mais je pense à Emilie et Apos qui auront certainement à chausser cette nuit. 

Des fragments de roches aux reflets verts jalonnent le parcours. J’en prends un en souvenir pour Pey. Le col est là, et avec lui un panorama époustouflant ! Je prends le temps de savourer en attendant mes comparses qui me rejoignent vite (Antho a eu un petit coup de fringale un peu plus bas). 3300 m sommet du TOR. 

En contrebas des bénévoles ont installé une nacelle de survie avec même un ravitaillement. Quel courage de rester ici dans le froid et toute la nuit à venir pour nous. Quelle organisation terrible que ce TOR où l’on trouve systématiquement des bénévoles aux cols ou points difficiles (à comparer avec la SP360…).

La vire aérienne du début de descente
Ravito à 3300 m d'altitude !
Paysage époustouflant
On descend en courant vers le refuge Vittorio Sella au personnel à aussi si attentionné. 
Raph en approche du refuge Sella
Arrêt express à 18h pour bouillon, pâtes, panchetta et autres friandises valdotaines. Un nouveau bouquetin nous regarde passer dans une indifférence totale. De là c’est une descente facile de 1000 m D- vers la 2° base de vie de Cogne. Nous en profitons pour récupérer, tantôt en trottinant, tantôt en marchant. L’enchaînement des 3 cols a été très costaud. Nous sommes tous les 3 surpris par cette course. Elle est plus difficile que ce que nous avions voulu croire. Nous en sommes à 106 kilomètres et près de 8000 D+ gravis. La route est encore longue. 
Je m’évertue à courir jusqu’à la BV, car je n’ai pas envie de marcher sur du plat et car j’en ai ma claque de cette 2° section. 20h Cogne, accueillis par des passants motivés et 3 nénettes qui se jettent dans mes bras au détour d’un carrefour. L’ambiance du TOR c’est vraiment quelque chose.
2° base de vie : un capharnaüm pas possible. On a décidé de prendre du temps pour dormir mais çà ne va pas être aisé. On retrouve Fred Gil et Jean-Luc son frère, comme d’autres concurrents ou assistants-anges gardiens croisés par les chemins. Les tables sont envahies, les douches aussi, et que dire du dortoir. Une fois le sac base de vie récupéré il est difficile de s’organiser dans cette agitation. 

Retrait et dépôt des sacs base de vie

Ne rien oublier, faire les choses dans l’ordre, ne pas perdre trop de temps. Enlever ses chaussures tout d’abord pour laisser respirer les pieds et soigner 3 petites ampoules apparues (je vais d’ailleurs changer de chaussures et passer aux Altra). Manger au buffet dantesque qui nous est proposé : des pâtes, des patates, de la viande, des œufs, des yaourts, des fruits, des salades de fruits, tartines de Nutella, même du vin rouge… Il y a forcément son bonheur et cette diversité permet de ne pas se lasser de tel aliment d’un ravito/BV à l’autre. 
Un vrai ravito de base de vie !
Se doucher rapidos et se changer pour se sentir frais et dispo. Je m’installe entre deux portes à l’entrée du dortoir pour trier mon matériel et refaire mes sacs. Pas aisé mais c’est le seul coin assez calme que j’ai pu trouver. Passage chez le kiné pour un bon massage des cuisses et mollets. J’ai ressenti une petite douleur au TFL (tendon latéral du genou) dans la descente, mais après manip’ le kiné m’indique que tout va bien, pas besoin de strap préventif. J’espère, car si le TFL se déclenche dès maintenant çà craint… 
Enfin le dodo : un dortoir aux 80 lits de camp alignés où les bénévoles vous installent, vous demandent à quelle heure vous souhaitez être réveillés et vous disent bonne nuit. Tout cela dans un chuchotement. Admirable !



Pile poil deux heures après  l’une d’elle vient me susurrer un réveil. Je n’ai pas assez bien dormi (j’ai du mettre ¾ d’h à m’endormir malgré les boules-quiès et la fatigue)mais il faut se lever. Je finis de tout ranger et retrouve Antho et Raph’ qui ont mené leur arrêt de leur côté pour un départ à 4h du mat’. La pause a été longue mais nécessaire. 

Section 3 : Cogne - Donnas : Doute, neige et résurrection !
Dès le départ et ce long faux plat montant de 4 kilomètres sur piste et route vers Lillaz, je sens que les sensations ne sont pas là. Je suis encore endormi, je peine à avancer. Dès le premier coup de cul Antho et Raph’ s’éloignent peu à peu. Je me traîne jusqu’au petit ravito mignon et funky de Goilles aux bénévoles enjouées. 



 Nous continuons à monter, il fait super froid. Le temps a tourné et l’humidité arrive. Pas de jambes, pas de niaque. Le TFL qui continue à me piquer à gauche, le ventre qui fait des siennes. Rien de tel pour me faire gamberger. Je prends depuis vendredi un médoc pour le souci que j’avais eu à la SP avec l’aérophagie d’altitude. Jusque là çà avait l’air de tenir, mais j’ai l’impression que çà revient. 
Un peu plus loin ma frontale s’éteint. Merde, j’ai oublié de la recharger à la BV ! (pas d’assistance et défaillance dans le suivi de ma fiche de procédure). Je prends la seconde de rechange, qui ne fonctionne pas, pourtant chargée à bloc. Problème dans la connectivité des câbles… Il ne me reste plus qu’à brancher la batterie auxiliaire (merci à ma Buse Eric pour tout ce matos).
Je perds du temps, en fait perdre à mes amis. Je commence à gamberger, à douter. Cela va durer 2 heures. 2 heures à lutter dans ma tête pour faire passer ce mauvais moment, ces mauvais sentiments. Je doute de ma capacité à finir. Dehors l’humidité est prégnante et perce nos vêtements. Pour la première fois de la course j’ai enfilé ma veste montagne sur ma veste coup vent. Mis des gants légers sous mes gants de montagne. Mis un bonnet sous mon béret. Nous sommes à un -14°C ressenti, les pieds humides, les joues et les lèvres cinglées par le froid (heureusement protégées par ma pileuse barbe). Mais je me rassure en me disant que d’autres supportent moins le froid que moi.
C’est vaillants malgré tout que nous poussons la progression jusqu’au refuge Sogno où nous arrivons à 4h du mat’. Je suis épuisé et hagard. Antho et Raph’ veulent repartir assez vite pour en finir de la montée, mais j’ai besoin de me refaire un peu la cerise. Je mange du chaud, essaye de m’étirer comme je peux. La pause dure 10 minutes mais fait du bien. 
Il reste un 300 D+ pour atteindre le col Fenêtre à 4h30 dans des conditions dantesques. Première hallucination qui me fait voit un mur bétonné continu à ma droite pendant l’ascension. En fait la lumière de la frontale qui focalise sur le chemin, additionnée à l’obscurité alentour et la pluie/bruine qui forme un rideau autour, font « solidifier »  le paysage environnant. L’impression de suivre un mur, alors qu’en fait il s’agit du vide à ma droite. Raph’ aura eu la même hallu au même moment.
Enfin le col, dans un froid polaire, nous sommes percés, frigorifiés. Cette nuit aura été ma plus froide passée en montagne, et elle fait des dégâts dans la troupe (100 abandons pour les premières 24 h, 100 de plus au bout de 48 h).



Nous basculons et le sommeil nous tombe dessus simultanément, comme la pluie qui redouble. Le brouillard nous fait hésiter au chemin à prendre, mais au bout de 2 kilomètres nous arrivons au bord du lac de Misurin et de son refuge. Il faut que l’on se pose avant de se mettre en danger. Nous dégottons un abri de jardin empli d’une tronçonneuse, de vis, d’essence, de bois et même d’un kayak. Nous y sommes à l’abri pour somnoler 5 minutes, juste le temps de faire passer le sommeil. Nous ouvrons la porte : il neige ! C’est dingue. Je crois n’avoir jamais eu aussi froid de ma vie !!!
On rattrape des types partis à volo dans le brouillard, et c’est enfin la piste que nous trouvons avec une petite lueur de jour qui se pointe. A 3,5 kilomètres en contrebas, dans un ciel humide de montagne et après une nuit d’enfer gelé, nous atteignons enfin le refuge Dondena. Ravissement car nous n’escomptions plus de refuge avant un moment (nous croyions l’avoir passé). La décision est rapide et univoque : dormir !
Nous entrons le refuge à 7h, et sans même dire bonjour demandons un lit. Repris par la patronne nous nous excusons de cette impolitesse. Nous ne mangeons même pas et elle nous accompagne au-dessus dans les chambres. Enlever ses chaussures et sa veste trempées, puis s’allonger sur un vrai matelas sous deux chaudes couvertures est un plaisir sans pareil. Nous nous endormons de suite pour une heure d’un sommeil tant salvateur que réparateur. 
Le calme de ce refuge est bienveillant, je puis même faire mes étirements dans un couloir désert. Une charmante randonneuse n’en revient pas de ce que nous faisons et me le fait savoir. Cette admiration des bénévoles comme des« passants » est toujours étonnante, car pour nous cela n’est certes pas banal, mais nous l’avons intégré et accepté.
En bas nous pouvons prendre le temps de manger et refaire le plein des gourdes et des poches avant de remercier chaleureusement cette belle équipe du refuge.
Notre sauveur, en arrière plan
8h20 il fait jour, sous un ciel tourmenté. Les montagnes alentour sont poudrées de la neige de la nuit. Il faut maintenant repartir dans cette longue descente de 29 kilomètres et 2500 D-, que nous avons engagée depuis le col, et qui va nous mener jusqu’au point le plus bas de la course à la base de vie de Donnas. 
Je suis complètement ragaillardi après cette pause. Tous les maux sont oubliés, je suis frais comme la température du jour. Incroyable cette capacité de l’organisme à se reconstituer en peu de temps. Antho a de son côte un TFL qui le rappelle à l’ordre, il commence à ne plus pouvoir courir en descente. Pour Raph tout semble aller pour le mieux.  



Cette longue descente nous la craignons tous, car elle peut paraître interminable et une descente çà reste assez cassant musculairement. Pourtant, aidés par les paysages changeants et la pente globalement assez douce, nous allons pleinement en profiter. C’est en fait une longue pause qui nous est accordée où nous pouvons papoter, vaquer à des pensées perso, rencontrer d’autres coureurs de façon plus régulière (comme ce jeune néo-calédonien Louis Louarn qui a traversé le monde pour courir le TOR) et faire de petites pauses aux ravitos de Chardonney et Pontboset. Les cloches nous accueillent comme les dévoués bénévoles. 

Systématiquement des boissons ou petits repas chauds. Pas besoin d’attendre les bases de vie pour vraiment manger, et çà c’est très appréciable.

Les sentiers nous mènent après les estives aux travers de boisements sympas, traversant des minuscules villages parfois complètement abandonnés. Cette petite mamie étendant son linge dans un hameau de cinq maisonnées de pierre en totale décrépitude, mais nous encourageant d’un sourire. Surprenante désertification de pans entiers de montagne.



Les Vendéedeux sponsorisés !
Antho sur l'un des quelques superbes ponts du parcours
Finalement, au bout de près de 6  h de descente, nous atteignons le bas de la vallée et la ville de Bard, puis Donnas. Charme rompu de la course qui nous fait traverser voies rapides, voie ferrée et longer une voie à grande circulation. 

Le fort de Donnas
Nous passons sur la voir Romaine, l’un des symboles de la course, et sommes en son point le plus bas au ravito de Donnas (330 m). 


Voilà la 3° base de vie, après 50 h de course. 151 kilomètres de fait…il en reste près de 200.
Beaucoup de monde à cette BV à nouveau. Trop de monde… Difficile de trouver un coin où se poser. Avec Raph nous délimitons avec deux chaises notre « espace intime » dans un coin de la salle. Autour il me semble que pas mal de personnes n’ont rien à faire ici. Théoriquement chaque coureur a le droit à un seul assistant. Ceci est contrôlé mais j’aperçois des personnes complètement oisives qui tuent le temps sur des chaises à ne rien faire, prenant de la place aux coureurs. Les BV sont en théorie là pour nous apporter calme et repos. Impossible dans celle-ci. Cela devient presque une épreuve, où il faut bien faire tout ce qui nous permet de récupérer et préparer l’étape suivante.  Mais avec cette agitation et ce monde difficile d’être efficace. Il faut surtout penser à réserver sa place chez le kiné dès l’entrée dans la salle, sous peine de perdre minimum 30 minutes d’attente…
Je rencontre Laetitia, la femme de Thierry Gasparini, engagé sur le TOR des Glaciers. Ils sont 98 à avoir pris le départ vendredi de cette nouvelle course de 450 kilomètres et 34 000 m D+/D-. Titi et Patrick Moissinac ont terminé la SP360 l’année dernière également. Ils sont en train de se reposer et ont la barrière horaire au cul. Laeti m’exprime les difficultés et la dangerosité du parcours jusqu’ici. Dires corroborés avec ceux d’un italien hors délai avec qui nous avons fait une partie de la descente. Je suis admiratif de ce qu’ils sont en train de faire. Ils n’ont que 4 BV et ont du supporter l’isolement et le froid bien plus que nous depuis vendredi. Et leur route est encore longue…

Section 4 : Donnas - Gressoney: Tout s’y joue !
Au bout de 2h je suis enfin prêt à partir. Antho et Raph’ s’en sont allés en éclaireurs, il y a 10 minutes. Après avoir tout récupéré et rangé, je donne mon sac aux bénévoles. Je pars en courant en téléphonant à ma Laeti sous un fin crachin. C’est lorsque je veux mettre mes manchettes que je m’aperçois que je les ai oubliées. Je laisse mon sac et repars courir 200 mètres à la BV. Obligé de redemander mon sac, de les retrouver, et de repartir. Des passants ont gardé mon sac à dos, mais je viens de perdre 5 bonnes minutes. Vite sortir de Donnas, retrouver les cimes. Passer d’abord devant le vieux pont de Donnas et ses bénévoles si chaleureux. 




Puis çà attaque sévère d’entrée, mais les jambes sont là. Le chemin est chaotique jusqu’à Perloz, pendant 6,5 kilomètres. Du style à te faire perdre tout le bénéfice de la BV. Mais je me sens bien, et malgré la pluie je suis habillé léger et évacue la chaleur.
La file des traileurs est désormais plus clairsemée, 100 nouveaux abandons ont eu lieu ces dernières 24h. Je suis parti en chasse des 2 copains mais je suis régulièrement seul. Je croise Patrick au ravito de Perloz qui semble avoir retrouvé du pep’s, tout du moins le sourire.
Plus loin, à la Tour D’Hereraz, je tombe sur Thierry, Titi le vaillant kangourou catalan. Je décide de rester un peu avec lui pour l’encourager et écouter ses histoires. Terrible de savoir par où ils sont passés, et malgré son niveau et celui de Patrick de les entendre lutter contre les barrières horaires. Le rythme est encore bon et la fatigue semble être contenue. 


Titi, le kangourou catalan !

Cette heure passée ensemble en direction de Sassa et ses 800 D+ nous permet de nous changer les idées en parlant également d’autres sujets que cette course, mais en restant dans le monde du trail. Merci Titi pour cet échange et ce moment passé ensemble. Bravo à toi et Patrick (et tous les Glaciers) pour ce défi lancé. Et même si il n’a pas pu aboutir, vous en êtes sortis grandis, et pouvez en être fiers.
J’arrive à Sassa à 20h10, à la tombée de la nuit. Antho et Raph’ vont en repartir sous peu. Ce n’est pas un souci, je suis en forme et espère les rattraper dans la suite de la montée vers Coda, et un nouveau 800 D+. Rapide ravito pour moi. Un salut à Laeti et Vittorio, et j’enchaîne à la frontale dans la rude montée. Bien rude oui, mais heureusement je suis bien. Bien mieux qu’un concurrent qui ne peut plus avancer car pris par une bronchite. Depuis 24 h il a peine à respirer et doit s’arrêter régulièrement. Je lui conseille de faire attention car nous allons monter et rester haut pendant un moment. A lui de prendre ses responsabilités, mais la route est encore longue, le jeu en vaut-il la chandelle ?
Il me tarde d’arriver à Coda, car le refuge marque le demi-TOR. Je comptais y arriver de jour mais ce n’est pas grave. Je reprends des concurrents mais toujours pas mes comparses. La nuit est dense et humide. Des chiens de bergers hurlent alentour et des lumières villageoises égayent l’obscurité. Je monte toujours. L’humidité ambiante se mêle maintenant à celle du sol. Zones humides d’altitude qu’il est difficile d’éviter. Pourtant il faut garder les pieds au sec au maximum. J’ai déjà assez d’ampoules comme çà (même si elles me gênent peu). La nuit nous a avalés, elle nous envoûte.
D’un coup j’aperçois au sol un stylo Bic vert pomme empli de microbilles vert fluo. Magnifique ! Je pense de suite : putain mais Bic ferait bien de les commercialiser, ils sont top beaux, ils vont faire un carton ! Nouvelle hallucination : il s’agissait en fait d’un long brin d’herbe parsemé de rosée. J’ai le réflexe d’ouvrir ma poche et de m’enfiler une compote, du fromage et des fraises Tagada. Des sucres rapides et du gras afin de refaire les niveaux. 
Putain mais il est où ce refuge ? Certes il fallait se taper un 1900 D+ depuis Donnas mais là çà commence à faire long. Et les blocs de rochers qui succèdent aux zones humides. Des lumières au-dessus qui m’indiquent que ce n’est pas fini. Toujours difficile d’évaluer où en est sa progression dans la nuit, sachant qu’une lumière de frontale paraît toujours plus loin qu’elle n’est vraiment, mais qu’il ne faut pas la confondre avec celle d’une étoile (car là on y arrive jamais).
Enfin, je débouche sur une crête ! Truc de dingue ! Je me retrouve frappé au visage par une vue incroyable. Devant moi toute la vallée italienne illuminée et la ville de Biella. Je surplombe l’Italie. A mes pieds les Alpes s’effacent. Je percute que je suis au bout du Val d’Aoste. Effectivement j’arrive à son extrémité, il va être temps de commencer à fermer la boucle. Cela m’est autant surprenant que grandiose, je marque là psychologiquement la mesure du chemin accompli. 
Le refuge de Coda est à quelques encablures sur cette crête, à 2224 m. Il va me faire du bien car j’ai besoin de manger chaud, de m’étirer et de relaxer les pieds. J’y arrive à 22h25 et retrouve Antho et Raph’. L’espace qui nous est réservé est très exigu. Conciliabule sur la suite à tenir. Dormir ici ou progresser encore de quelques heures jusqu’au refuge de la Barma. Nos estimatifs, et les indications des bénévoles, nous le donnent en 2h30. Antho et Raph attendent que je me refasse la cerise et nous repartons. Nous serons mieux à dormir avec une bonne partie de nuit de faite. Cruelle erreur…
Il y a deux semaines l’orga avait indiqué un changement de parcours : rejoindre les deux refuges par les crêtes et non plus en descendant au Lago Vagno (sentier originel dit impraticable). Mais pourtant les fanions nous font descendre direct, descendre vraiment, et techniquement. Nous sommes dubitatifs, mais pas d’autre alternative que ce chemin chaotique et bien compliqué. Nous ne comprenons pas, mais tout le monde descend, bas, très bas… Déjà une heure que nous progressons et la fatigue me tombe dessus. On est en bas, on a du descendre difficilement de 400 D-.
Y a un truc qui ne tourne pas rond. Et ce sentier qui tourne en rond, qui ne se court pas. Enfin une habitation éclairée...le refuge ? Non juste un ravito sauvage tenu par une charmante demoiselle. Je suis déconfit, trop fatigué. J’hésite à repartir, à demander si je peux dormir ici. Les Vendéedeux (et oui : un vendéen, deux vendéedeux) m’encouragent à repartir, çà ne doit pas être à plus de 30 minutes. Mais ici va commencer un chemin de croix pour tous les 3. 
Le sentier virevolte dans la montagne, des lumières de frontales dans tous les sens nous privent complètement de repères. Les panneaux du refuge qui ne nous donnent aucune indication de temps. Un refuge au bord d’un lac. A chaque fois que nous entendons une chute d’eau nous pensons qu’il est au dessus. Désillusion sans fin. Nous trois commençons à sombrer dans une déconvenue de tous les instants. Et puis une voiture à quelques encablures avec un gyrophare…mais qu’est ce qu’elle fait là elle ? Ce n’est pas une hallu collective car même Raph et Antho la voient.
3 h maintenant que nous avançons ! Le temps prévisionnel est dépassé. Je suis groggy. A chaque micro-pause je chancelle, dors sur les bâtons. Je ne sais comment je peux continuer. Je suis en bad terrible. Pas mieux pour Raph et Antho qui en ont marre. Marre de ne pas savoir où on en est. Tu parles d’une jonction sur crête ! Nous apprendrons d’ailleurs plus tard que nombre de concurrents auront suivi la nouvelle trace GPS crête sur leur montre et non pas les fanions de la course…gagnant ainsi du temps et du déniv’. Des cabanes, closes, on hésite à couper la corde les fermant pour aller s’allonger. Il fait humide, mais pas trop froid. Bad trip total. Se remettre en route coûte que coûte. Et çà paye.
Au bout de 3h30 pour seulement 9 kilomètres de progression nous voilà en vue du somptueux tout neuf refuge de la Barma. Sa douce chaleur, ses lignes architecturales boisées, ses bénévoles souriant sont un havre. Je m’assieds et ne sais plus par où commencer l’opération reconstruction. De suite aller dormir. Mes acolytes ont oublié de me réserver une place et je dois pleurnicher pour reprendre ma priorité. Terrible désillusion quand on m’annonce seulement 1h de dodo possible du fait de l’affluence. La montagne s’écroule sur mes épaules…J’y vais en trainant les pieds, pieds couverts de bandages et de crasse d’ailleurs.
Une heure c’est court mais c’est déjà çà. Je profite du couloir calme pour me rafistoler et m’étirer. Je remonte manger un bout. Refuge de la Barma aussi superbe et accueillant qu’il fut attendu et conspué quelques heures plus tôt. Nous signons l’affiche du TOR et nous voilà dehors à 4h, en ce mercredi matin. Dire que nous sommes motivés est un bien grand mot. Mais nous sommes dans cette 3° nuit qui bascule vers le 4° jour. Ce point crucial d’un ultra long où tout ce joue, où tout se décide. Je me dis que le plus dur est fait avec ce qu’il vient de se passer ces 3 dernières nuits qui nous ont offert  un lot de difficultés insoupçonnées. Se geler comme nous l’avons été, percés d’humidité ou abrutis de fatigue…nous ne pouvons l’avoir fait pour rien. La météo va tourner vers le beau, nous nous tournons vers l’arrivée…çà bascule vers le bon. J’en ai des frissons aux yeux, des larmes qui perlent.
Après des blocs de roche voici le long travers qui nous fait rejoindre la piste où passait la voiture tout à l’heure. Puis la montée courte et sèche au col de la Marmontana. En dessous raide descente vers le Lago Chiaro où un bivouac semble nous attendre. Le ronflement du groupe électrogène brise le silence. Et ce bivouac vaut nombre de ravitos (de la SP360 par exemple…). 3 bancs, 4 bâches, un feu, une casserole et deux marmites. Il suffit de 3 bénévoles motivés et enjoués pour transformer cela en oasis. Ils sont aussi frigorifiés que nous (juste un peu moins fatigués) et nous offrent leur générosité : pâtes à la tomate croustillantes réchauffées à la poêle + carrées de jambons grillés posés sur Tuc. De quoi presque vous faire oublier vos peines. Ce, jumelé à une aube qui se pointe, et voici un 4° jour qui se présente sous les meilleurs hospices. 




L’humidité est partie, le ciel est complètement dégagé. De quoi attaquer la Crena du Ley (le crâne du loup) dans les meilleures dispositions, en compagnie de deux néo-zélandais. Toujours un peu plus lent dans les transitions j’ai laissé mes amis partir devant. 
Le crâne du loup

Montée sèche mais superbe de 300 D+. Toujours dans l‘ombre de la montagne mais nous profitons des lueurs sur les monts alentours. 
Fin de la montée, le traileur donne une idée de la pente
A la crête la vision est spectaculaire. Tant de la descente vertigineuse que du paysage. 


Début de la descente
Au loin le Monte Rosa et le Cervin. En contrebas la vallée et le ravito de Niel que nous atteindrons dans quelques heures. 

La félicité du moment n’a d’égal que la difficulté de la nuit passée. Je jouis complètement de ces quelques heures passées entre ce ravito et le col de la Vecchia. Malgré la difficulté de la progression dans des blocs et passages hasardeux, la beauté de la haute montagne ici exposée est si ravissante. Je me sens si bien, privilégié.
 Il faut aller tout en bas, mais tout d'abord traverser le chaos rocheux ci-après

Ravito du col de la Vecchia, lui aussi comme une cabane de bric et de broc mais empli de chaleur et de gentillesse. J’y retrouve les gars et une polenta en train d’être préparée mais pas encore dégustable.  



Je laisse filer à nouveau Antho et Raph espérant les retrouver dans la descente de 600 D- qui s’annonce. Au col le soleil nous attrape soudain ! Premier vrai rayon de soleil depuis près de 48h…qu’il fait du bien à la couenne. 


Inondé de soleil !!!
Superbe chemin en balcon

Mais il faut repartir sur ce sentier au début agréable qui devient rapidement trop pentu, gadoulieux, incourable, rébarbatif…A n’en pas voir le bout, je commence à peiner. Dans la foret retrouvée je tél à ma Laeti, j’ai besoin de réconfort et d’entendre un proche me parler. Elle me tient au jus de la progression des différents comparses, Apos, Emilie, Fred, Raphaël. Je croise des randonneurs, c’est que je m’approche. Le soleil commence à donner du chaud, même dans la foret, et c’est à 10h40 que j’arrive à Niel. 
Cette section 4 tant redoutée est en passe de se terminer. Elle est reconnue comme la plus dure du trail, comme un juge de paix…et elle n’a pas faillit à sa réputation. Il n’y a qu’à comparer l’état dans lequel je sors de Donnas avec celui de mon arrivée à Niel.
Niel, micro village aux chalets alpins. Accueilli en fanfare par les cloches et les bénévoles souriants. L’une me prend sous son aile en me dénommant le Marseillais (en relation avec le béret). Je ne lui en veut pas, le TOR efface les différences. Première polenta dans le gosier, ce repas du pauvre valdotain fait de farine de maïs agrémenté de la viande et de la sauce que l’on voudra. Il nous est un plat de riche pour nous autres traileurs. Revigorant. 




Nous avons décidé tous trois de partir dormir 2h (1h30 pour moi car à la bourre), nous en avons vraiment trop besoin. Installés dans des tentes trop bruyantes nous allons néanmoins savourer ce sommeil. A côté d‘une hongkongaise un poil capricieuse et qui semble si fragile, assistée si gentiment par un occidental tout à sa botte. Un nouvel étonnement pour moi sur la culture et la sociologie asiatique.  Nous profitons ensuite d’une nouvelle polenta sous le soleil, pendant qu’on nous annonce le passage du premier au col Malatrà. Dire que dans quelques heures il en aura fini…incroyable performance.
13h10, mercredi (73 h de course), il fait chaud, presque trop. Ces contrastes de températures sont importants et fatigants. Mes comparses comme moi avons dans les narines des importants caillots de sangs qui se forment, gênant la respiration. Ces épreuves au long cours sont vraiment violentes sur l’instant pour le corps. Nous nous mettons dans des états de stress physique et psychique avancés. Et pourtant j’aime ce format de course complètement immersif et déconnectant. Où je trouve des sensations jamais encore éprouvées, où je passe dans une dimension parallèle, où la relativité au temps qui passe est tout autre. Malgré çà je sais que ce TOR, que je le finisse ou non, sera mon premier et mon dernier. Je n’irai plus sur ce format extra-long, trop couteux financièrement, physiquement et mentalement. J’en aurai fait deux, je peux en être heureux, mais cela suffit. Des aventures de 4 jours max me combleront désormais.
13h10 donc, il faut repartir. Ascension de 800 D+ vers le col Lasoney à 2385 m d’altitude. Une très jolie ascension entre murets, forets, sources et ruines, offrant de magnifiques paysages. 



Une bien jolie ballade pas trop raide, mais sous la chaleur. Dire que nous gelions il y a quelques heures. Je dois lever le pied, car ce chaud ne me sied pas. J’en suis même contraint à enlever mon béret pour la première fois de la course. Antho le sait et il s’éloigne en rassurant Raph’ que ce n’est que passager pour moi. 
A mi-ascension : vue sur ce que nous venons de monter

Je fais chemin faisant connaissance de plusieurs concurrents et d’accompagnants qui vont à la rencontre de leurs « coureurs ». Comme cet anglais vivant à Denver à qui j’explique l’histoire de mon béret, ou ce hongkongai qui lorsqu’on entend passer un hélicoptère m’explique que son copain qui était dans le Top 10 a été évacué il y a 2 jours car son cœur était monté à 250 pulsations minutes. Nous n’aurons cesse ensuite de nous croiser et de se dire « I want my helicopter ». 
Je me rafraîchi aux sources, conscient de mon handicap sous cette chaleur. Lors quelques concurrents me doublent. Presque au col je retrouve un duo chaleureux, formé sur la course. Sébastien (français de Lyon) et Daniel un Valdotain (italien de la vallée). Tout sourire tous les deux, pleins de joie et de conversation, ils égayent mon chemin. Le Valdotain s’il termine le TOR serait le second de la vallée. Il n’a cesse de nous raconter des anecdotes locales et avec son bagout fait nombre de contacts amicaux. Basculant au col la vue est exceptionnelle sur ce long plateau herbeux au profil légèrement descendant. 


Un chemin courable, des maisonnées, et je retrouve doucement Raph’ et Antho à l’orée d’un boisement. Au loin nous entendons des cloches et de la musique…ravito en vue.
Pas un ravito non ! Une fête de bergerie, un rassemblement de copains, une ode à l’amitié, une parenthèse inattendue.  Bergerie de Loo : une douzaine de bénévoles masculins nous accueille avec force de cloches valdotaines. Trois d’entre eux jouent du saxo, de l’accordéon, de l'euphonium (ou baryton - merci Hervé pour cette remarquable précision instrumentale). 

Nous sommes attendus, encouragés, portés par cette troupe. Incroyable ambiance qui vaut bien une pause. Daniel, toujours aussi surprenant, s’empare de l’accordéon et commence à jouer et chanter avec les autres musiciens. Le temps est suspendu, tous s’arrêtent, écouter et jouir de cet instant incongru. La musique est belle, les artistes s’accordent, les frissons montent, je chiale…  Aurais-je jamais pensé vivre un tel instant sur un Ultra ? Le TOR est magique. 


Daniel (à droite) et les 3 musiciens

Un plateau de fromages nous attend, comme une succulente polenta au chevreuil, du saucisson local et des saucisses de chevreuil, des fruits et même du Fanta orange… C’en est trop. 



Je m’allonge sur l’herbe, profite de cet instant, et met les jambes en l’air pour résorber les œdèmes qui commencent à apparaître. Un bénévole vient s’installer à côte de moi et nous faisons connaissance, trinquons à cet instant, pour enfin nous saluer en sachant que nous ne nous reverrons jamais. 

Je repars de cet endroit apaisé, revigoré, émerveillé par tant de bonté et de partage. Merci messieurs, vous êtes le TOR !
Même si la pente est douce il est difficile de courir, l’estomac n’est pas encore en état… Ce TOR est terrible, nous allons finir plus épais que nous l’avons commencé. 750 D- plus bas nous devons aller rejoindre la basse de vie de Gressoney. Cela nous prend un peu de temps car les jambes encaissent encore dans un chemin parfois délicat. Nous sommes à plus de 3 jours de course, cela commence à se faire ressentir. 



17h30 nous sortons enfin de ce 4° secteur clé de la course. C’est la 4° BV qui va nous faire le plus grand bien avant d’envisager la suite. Cette BV est immense, bien mieux organisée que les précédentes. C’est aussi que les concurrents sont plus étirés, nous avons plus de place. Je retrouve Laeti, la compagne de Titi (pas la mienne, ni celle de Zinzin, ni de Fred…suivez mince !). Il est toujours en course avec Patrick sur les Glaciers. La forme et le moral, même si les barrières horaires sont rudes à passer. Ils ont perdu beaucoup de temps les deux premiers jours : pas de bouffe aux trois premiers refuges alors que c’était prévu, chemins et signalisations enfouies sous la neige, passages dangereux sur les cimes. Je suis admiratif et circonspect sur la difficulté de cette course qui n’est plus un trail mais une course de montagne. 
Nous n’avons toujours pas d’assistance mais Laeti se propose de m’apporter à boire et à manger pour me faire gagner du temps. Je ne veux pas abuser mais la solidarité joue à plein. Merci pour çà Laeti.
Nous vaquons aux occupations habituelles en BV : manger, se doucher, se changer, s’étirer, se faire masser, se rééquiper, manger à nouveau…  La gestion du sac de course et du sac BV est une aventure en soi. Il faut organiser cela au mieux et ne rien oublier. 
J’ai un cas de conscience sur ma frontale de secours qui ne marche plus et que je trimballe depuis 48h. Le règlement stipule pour le matériel obligatoire d’avoir toujours en course deux lampes frontales en état de marche et leurs batteries respectives de rechange. Je ne vois pas pourquoi je porterai avec moi une frontale qui ne fonctionne pas. C’est du poids en plus qui ne sert à rien. J’hésite donc à la laisser dans mon sac BV. Néanmoins si je suis contrôlé avec  je serai pénalisé, si je suis contrôlé sans je risque la disqualification. Honnête je fais donc appel à la responsable de la BV et à un commissaire de course.

Je leur explique la situation et ils sont assez circonspects. Ils voient bien que la batterie est chargée à fond mais qu’un problème technique la rend inopérable. En parallèle j’ai mon autre frontale chargée à bloc, plus la batterie externe, plus mon tél portable et mes deux coéquipiers avec qui je m‘engage à rester. Cela ne suffit pas au commissaire qui reste campé sur le règlement. Je dois sortir de la salle avec 2 frontales et leurs batteries de rechange. Je souhaitais être honnête, mal m’en a pris. Voilà comment perdre du temps et monter un peu en pression. Il me suggère d’en acheter une. En acheter une !?! Pas question, j’ai assez dépensé pour cette course, et je n’irai pas céder au vendeur de matos technique à l’extérieur. Je lui explique également mon histoire de frontale à la SP360 où j’ai fait plus de la moitié de la course avec une seule frontale. Rien à faire. Je laisse passer l’orage et promets de passer à la sortie de la BV avec une solution. Je ne veux pas jouer au con avec l’emprunt d’une frontale de Raph’ ou Antho en les faisant passer pour une des miennes. Il suffirait qu’ils viennent à nous contrôler tous les 3 pour que nous soyons disqualifiés ensemble.
Je cherche Laeti pour voir si elle en a une sous le coude mais manifestement elle est partie. Il s’avère qu’au prochain ravito Claire, la chérie d’Antho, et Cyrille son pote vont nous retrouver avec le camion. Ils ont pris l’avion ce matin puis des navettes afin de pouvoir nous porter assistance pour la fin de la course. Voilà une aubaine. Mais Antho n’a pas de frontale dans le camion, juste une grosse lampe torche de chantier. Qu’à cela ne tienne, j’indique à la responsable de salle que je porterai cette lampe à compter du prochain ravito, et qu’entre temps je m’engage à rester avec mes comparses. Même si c’est une grosse lampe ce n’est pas ce qui va m‘empêcher de finir le TOR. Elle est compréhensive et me laisser filer. Stress terminé…

Section 5 : Gressoney – Valtournenche : Une nouvelle course commence !
19h23 nous quittons la BV, en remontant un long moment le bitume et en encourageant un Glacier qui part sur un autre chemin. Glaciers qui nous entourent et que nous voyons au loin dans ce majestueux couché de soleil.



Les glaciers dans le couchant

Ce coin d’Aoste est vraiment magnifique depuis ce matin. Voici l’attaque très raide pour nous mener au Col Pinter, 1350 D+ sur 5.6 kilomètres. Ca ne rigole pas d’entrée. Nous faisons rapidement les 365 premiers D+ à la frontale jusqu’au refuge Alpenzu. Pit stop express et c’est reparti dans le pentu. Mes comparses vont plus vite que moi depuis le départ de la BV, j’ai du mal à revenir sur eux même si nous doublons quelques concurrents.  Je me fais une micro pause fraises Tagada et il faut relancer. Les frontales semblent proches, mais si loin aussi. Dès que je passe un micro relief plus pentu j’en vois d’autres au-dessus.
On me demande parfois ce à quoi l’on pense dans ces aventures. A beaucoup de choses en fait. Mais surtout à rester concentré sur ce qu’on fait et à l’écoute de son corps. Cela est surtout vrai la nuit où notre perception de l’environnement immédiat est réduite, mais aussi où du coup notre « vision » ne nous permet pas de nous accrocher où nous échapper vers le décor autour. C’est dans la nuit du coup que notre psycho est le plus sensible. C’est dans la nuit pour ma part que j’ai parfois le blues, des pensées vers la ligne d’arrivée qui me font pleurer, où vers la famille que je chérie. Mais il faut lutter contre cela pour éviter de penser « trop loin » et ne pas se projeter. La route est longue, je dois juste me focaliser sur ce col et à la rigueur la descente et le ravito d’après. Compartimenter au maximum l‘épreuve est ce qui nous sauve. Ne pas compter les kilomètres, ni les heures. Juste savoir que le col est à 2 heures, la descente durera 2 heures…et que demain il fera jour.
Les lumières d’une ferme, de vieux bâtiments abandonnés, le froid qui nous enveloppe. Le col n’est pas encore là. Progresser toujours. Je peste un peu contre Antho et Raph qui ne m’ont pas attendu. Ils sont plus rapides en montée, je les rattrape en général en descente. Je ne leur en veux pas, car c’est comme cela qu’on s’équilibre et que l’on ne perd pas de temps à s’attendre. Mais là j’ai besoin d’un peu de compagnie. 
Le col enfin, à 2776 m d’altitude, grandiose malgré la nuit. Le ciel est clair, la pleine lune est là, elle se permet de découper les cimes, porter des voiles de noir et de gris alentour, nous drapant du mystère alpin, la magie des montagnes. Je sais en profiter : humer l’air sec, éteindre la frontale et me laisser porter par ce clair obscur, sentir le privilège qui m’échoie. Vivre quoi, malgré la fatigue et les douleurs. 


La descente, même si raide au début est assez courable. J’en profite, je me fais plaisir malgré quelques passages un poil techniques. A ce rythme je reviens sur les garçons vers 2000 m d’altitude. Ils marchent, le TFL handicape Antho. Je leur fais la réflexion qu’ils auraient pu m’attendre, car je suis « à la planche » depuis ce matin pour rester dans leur rythme. Il faut savoir dire les mots et les recevoir sans se vexer ou mal les prendre, car avec ces efforts et la fatigue les sentiments sont exacerbés. Ils me comprennent. 
La fin de cette descente de 1200 D- vers Champoluc est pour nous trois difficile. Je n’ai qu’une envie, celle de plonger mes pieds dans de l’eau froide pour les soulager, mais je ne trouve pas de ruisseau. Tous les 3 accusons le coup physiquement et commençons à être bien fatigués. Notre dernier sommeil remonte à 12 h pourtant, mais nous en avons encore besoin.
1h15 Champoluc enfin ! Claire et Cyrille accueillent 3 zombies aux valoches sur et sous les yeux. De quoi les surprendre. Ils devaient s’attendre à une rencontre plus chaleureuse. Le ravito est l’un des rares peu fourni, pourtant il me semble être à un moment stratégique de la course. Les lits sont pleins, il faut attendre. Claire va nous chercher des duvets et nous commençons à nous reposer sur les bancs. 




Finalement assez rapidement nous partons au lit, nous allonger tout habillés (comme à chaque fois), sous des couvertures pour 2 heures.  Le réveil est rude, surtout pour la bénévole qui vient me caresser et est reçue par un coup de poing armé prêt à partir ! Pourquoi cette réaction, je n‘en sais rien, peut-être un mauvais rêve. J’en suis désolé pour elle. Dans la salle froide de Champoluc çà ne va pas mieux. Des types dorment un peu partout, des zombies entrent et sortent…Claire et Cyril doivent être hallucinés.
Prêt à partir...ai-je vraiment l'air d'avoir dormi ?
4h : l’on repart sous leurs encouragements sur cette longue portion de route de 3,5 kilomètres où courir nous est psychologiquement impossible. Chemin et première déclivité vers le refuge du Grand Tourmalin et le col de Nannaz qui nous attend au-delà, un nouveau 1200 D+. 
D’entrée je sens que çà cloche, les jambes ne répondent pas du tout. Corps et esprit complètement ensuqués. J’ai pourtant dormi 1h30 ce midi et 2 heures à l’instant. Mais encore pire que le début de nuit dernière je dors sur mes bâtons. Aucun jus malgré le sucre que je m’enfile. Antho et Raph m’accompagnent, m’encouragent, mais je rame terriblement. Pendant 2 heures je ne sais comment j’avance, dans cette pente parfois bien rude. Antho me soutient, je n’espère qu’une chose : voir le jour se lever pour qu’il m’aide. Certainement l’un de mes pires moments d’agonie, je pense ne pas me souvenir de tout de ces deux heures, juste de la bave aux lèvres de rage et d’un halo de frontale. Juste que les minutes me paraissait des heures. Juste que chaque pas n’était pas digne de moi.
6h30 nous apercevons le refuge dans le jour naissant. J’annonce à Antho que nos chemins vont se séparer. Je dois dormir au refuge sous peine de ne pas pouvoir aller plus loin. Chacun doit penser à soi maintenant, et doit faire son chemin de la façon dont il pense qu’il l’amènera au bout. Aucune amertume ni regret là-dedans. Il faut savoir penser à soi et respecter les choix de chacun. 



Le refuge est juste là

Comme pour conforter cela la silhouette d’un bouquetin se dessine sur la crête, derrière le refuge. Ombre chinoise découpée dans le clair obscur, le truc dont tu rêves à chaque sortie en montagne. Je suis scié devant tant de majesté. Un clin d’œil, il disparaît, ai-je rêvé ? Je m’engouffre dans le refuge.


Bouquetin clin d'œil

Chaleureux refuge, chaleureux hôtes. Ni une ni deux j’engouffre des pâtes et file me coucher tandis qu’Antho et Raph repartent déjà. 

Je demande au bénévole un réveil dans 2 heures (temps maxi autorisé dans les refuges), et me glisse dans une chambre boisée emplie de ronflements. Malgré çà je m’endors comme une masse…
La lumière douce glisse dans la chambre, j’ouvre un œil, nous sommes peu nombreux. Comme un dimanche sous la couette. Mais quelle heure est-il ? Le bénévole n’a pas eu à venir me réveiller, je l’ai fait tout seul, après 1h40. Incroyable, je suis frais, reposé, en état de grâce. Je file silencieusement dans le couloir, faire quelques assouplissements de réveil puis descend dans la salle commune. Irréelle impression de me sentir comme un randonneur en escale qui va prendre son petit déjeuner. 
Dehors la lumière est vive et éclaire le col de Nannaz à quelques encablures. La seule anachronie est le doux va et vient de types habillés comme des coureurs des montagnes, avec les yeux en cul de chamois et une odeur de bouquetin. Ah oui, je suis sur le TOR des Géants ! Je m’empiffre de ces gâteaux aux chocolats typiques de la vallée, empli ma gourde de thé chaud sucré, et craque pour un grand verre de lait froid dont j’ai vraiment envie (qui se transformera en autre envie plus tard…).
8h40 : j’ai l’impression qu’un autre TOR commence. J’ai dormi 5h30 en 20h (la moitié de mon temps de sommeil total pour toute la course). J’en avais besoin. Je me sens libéré du sommeil, mais aussi du fait de ne plus avoir à « courir » après Antho et Raph’. Je vais pouvoir gérer à mon rythme, faire une partie en solo, peut être jusqu’à la fin. 



Le col de Nannaz

Dans la montée courte vers le col il fait déjà bon. Me revoilà en collant court et t-shirt, je prends le temps de passer un coup de fil à la maison. 




 Le col de Nannaz, avec mon vrai totem Renard


2773 m, le col de Nannaz nous ouvre vers un autre horizon, celui vers l’arrivée. Nous sommes enfin tournés plein ouest, et le Mont Blanc que nous distinguons encore bien loin. De là, c’est presque tout droit pour les 105 kilomètres restants. Un regard sur la crête à gauche : une autre éclipse de bouquetin. Cela peut paraître con, mais ces deux apparitions à ce moment de la course me bouleversent encore. Dans le laps de temps qu’elles ont marqué je me suis senti…protégé. A croire que mon animal totem n’est plus le même ici.
Progression vers le col des Fontaines à 2 kilomètres de là dans une magnifique prairie d’altitude. 



Au col, nous prenons en pleine face un 360° de fou, avec à notre droite le mont Cervin dans toute sa splendeur ! Un truc à vous couper le souffle. Il est là, à le toucher. Majestueux cylindre dans sa gangue de neige et de glace. Bien plus bas la prochaine base de vie de Valtournenche. Les photos fusent, les sourires aussi. 


Le Cervin (à droite), si près !

Le dos réchauffé par le doux soleil j’engage une descente agréable et courable dans laquelle je n’ai cesse de m’arrêter toutes les 5 minutes pour prendre des photos. Je « perds » du temps et compense en courant dès que je peux. 



Les randonneurs croisés qui montent n’ont cesse de m’encourager. Le TOR est l’une des identités de ces vallées, c’est poignant. A l’un de mes arrêts je suis interpellé par un groupe de randonneurs guidé par leur accompagnateur de montagne valdotain. Ces sexagénaires suédois montent en altitude se repaitre du paysage et sont abasourdis par ce que nous accomplissons. Mon béret fait son effet et je reste quelques minutes à discuter avec eux et répondre à leurs selfies. 


Je reprends ma route et, toujours en courant, fini par retrouver Cyrille à quelques hectomètres de la base de vie. Il est 11h11 et il fait chaud en bas. Raph et Antho sont arrivés il y a une heure. Je vais prendre là aussi 2 heures pour subvenir à tout ce qui va me permettre de repartir en forme, aidé en cela par Claire et Cyrille.
Raph et son Fanta orange

Massage salvateur et papotage avec un bénévole

Section 6 : Valtournenche - Ollomont : Une magie !
Départ de cette 5° BV, pour le 6° tronçon. Tronçon pair, donc réputé difficile, va falloir se méfier. Je pars en courant, mais vite rattrapé par la chaleur je lève le pas. Heureusement quelques boisements nous laissent à l‘abri et j’arrive au refuge de Barmasse vers 15h sans avoir laissé trop de sueur, que j’ai compensé en fraises des bois et myrtilles. Des concurrents ressortent avec des glaces du refuge. J’hésite mais je préfère aller faire une sieste de 15 minutes au soleil qui est supportable à 2200m d’altitude. Le paysage est ravissant et les jambes en l’air, le béret sur les yeux, je somnole délicieusement.


De là je repars pour un faux plat tantôt montant tantôt descendant où je peux courir jusqu’à la fenêtre d’Ersa. 



La vue est magnifique depuis ces alpages aux vaches noires sur la vallée en contrebas et les cimes au-delà. Un pur régal que cette partie moins exigeante. Mais il ne faut pas s’y tromper, il s’agit juste là d’un interlude avant de rentrer dans le dur. 


Je retombe sur Daniel le Valdotain qui chemine désormais en compagnie d’une Suisse Romande. L’intensité sonore et le débit de leur conversation sont surprenants et vite insupportables pour moi. Surtout au moment où ils se décident à répondre à leurs téléphones, et converser chacun de leur côté avec leur interlocuteur en mode haut parleur. Ce qui ressemblait à un havre de silence s’emplit de vocalises aux accents certes charmants (je crois n’avoir pas connu plus agréable et sexy que le français parlé avec l’accent valdotain) mais trop peu à leurs places ici. Je m’escrime à accélérer le pas pour quitter ce brouhaha. Mais ne m’appelant pas François d’Haene çà ne se fait pas d’un coup.

(et pendant ce temps là çà joue les touristes)
Fenêtre d’Ersa, je bascule vite (dans un décor époustouflant) pour ne pas les laisser revenir, en trottinant jusqu’au ravito de Vareton. De là se devine au loin la trace que nous devrons employer et le cheminement vers la fenêtre de Tsan. Et je n’ai pas l’impression que çà va se faire tout seul. Les deux barytons arrivent et, voulant garder mon avance, je file non sans entendre la miss suisse demander aux bénévoles si son sac base de vie pourrait lui être acheminé au prochain ravito (refuge la Magia) afin qu’elle puisse y changer de chaussures (pieds strappés, trop serrés dans celles-ci). Je ne sais si elle a raison d’oser mais suis tout de même interloqué et manque d’exploser de rire. Je me demande si je ne vais pas en profiter pour qu’on m’achemine mon sachet d’Haribo au coca que j’ai oublié. Le bénévole bien gentil s’exécute et reçoit une négative logique de l’organisation.
Allez zou, allons chercher 500 mètres et 5 kilomètres plus haut cette fenêtre de Tsan. Je sens le truc arriver que c’est coton avec cette chaleur et ce sentier technique. On ne prend pas de déniv, et on n’avance pas vite. J’ai les pieds en feu et je fais la montée avec un groupe de jeunes randonneurs bien plus chargés que moi. A la faveur d’un gros bloc rocheux je me rafraichis d’une compote. Il doit être 18h mais çà cogne encore. 
Une micro descente vers un ruisseau, je n’hésite pas. J’enlève les shoes et les chaussettes, et me voilà à me baquer pieds, mollets et genoux cinq minutes dans une eau glaciale. Les œdèmes apparus m’ont fait bien enfler les articulations, et même mes mollets/tibias. Cette cryothérapie va me permettre de gagner un peu de temps sur les œdèmes et de soulager les douleurs. Et puis je profite de cet instant de félicité, ce qui n’a pas de prix.


Avec çà le duo pipelette m’est passé devant. Je repars mais pas pour longtemps. A une intersection je m’aperçois que cela fait quelques temps que je n’ai pas vu de fanions. Certes le valdotain est parti dans la direction qui me parait logique, mais il n’y a pas d’indication. Atermoiement de 10 minutes en compagnie d’un anglais, de deux italiens, deux français et deux espagnols sur la conduite à tenir. On fouille partout mais pas de fanions. Le groupe de randonneurs essaye de nous aider mais la fenêtre de Tsan que nous devons atteindre n’est pas indiquée sur leur GPS. Le jour décline et j’aimerai sortir de ce traquenard avant la nuit. Enfin l’un de nous découvre un piquet de fanion sans celui-ci. Je chemine dans la direction donnée et après 100 mètres en trouve d’autres.
Je prends le lead pour rattraper le retard et essaye de contacter l’orga pour leur signifier (mais aucun réseau ici). Pendant cinq minutes c’est la même histoire jusqu’à trouver les responsables : des moutons en train de se la couler douce ont testé le goût du plastique. Il doit être appétant car elles ont fait un carnage. Finalement j’aborde les abords de la fenêtre, joliment accompagné d’une charmante italienne avec qui je converse en espagnol. Je crois faire le malin en lui montrant en chemin un groupe d’une trentaine de bouquetins, moi tout émerveillé. Elle se tourne et me montre au loin le Mont Rose au pied duquel elle habite : les mouflons et les bouquetins c’est son quotidien.

 La Fenêtre de Tsan
Fenêtre de Tsan, 2738 m : superbe endroit hyper alpin aux paysages époustouflants. Content de passer ici de jour et au sec. La descente s‘annonce assez vertigineuse. 

Descente…..oouuch !

Je peux courir doucement mais l’italienne sans coup férir s’éloigne. Sa technique en descente est efficace. Joli vallon dans lequel nous descendons, avec un refuge qui paraît bien loin à 3,5 km et 700 D-. Je m‘emploie à ne pas perdre de temps pour y arriver avant la nuit. 
Pile à 20h ce jeudi soir voici le grand refuge Lo Màgia, accessible en auto, qui fait plus hôtel d’altitude que véritable refuge. J’y prends juste un bouillon pour enchaîner. Je préfère aller me poser au prochain refuge à moins de 2 heures de là. Dehors je fais quelques étirements. Un bénévole sort fumer sa clope et me dit, l’air un peu suffisant, « ne reste pas ici par terre au froid tu vas attraper mal ! ». J‘explose de rire : « Froid ?! Le froid je commence à connaître tu sais… ».
Allez hop, c’est reparti dans la nuit. Ca s’enchaîne. C’est difficile à retranscrire mais il faut s’imaginer que nos journées ne commencent pas avec le soleil ni se finissent à la nuit. Non, ces journées elles ont toutes 22, 23 ou 24 heures. Et dans ce laps de temps, il faut passer en moyenne 4 cols de haute montagne. L’on vit vraiment des journées de 22 h, ce qui transforme complètement la notion de temps, l’engagement physique et la gestion psychique qui va avec. Imaginez vous vous être levé un samedi à 8h, avoir passé la journée, engagé la nuit pour la faire blanche (apéro, resto, concert, et ce que vous voulez derrière…), voir le jour se lever et ne pas vouloir (ou pouvoir) dormir et arriver au dimanche soir à 21 h. L’envie de dormir est là non ? Et au moins jusqu’à 6h le lendemain matin (ce qui d’ailleurs ne sera pas suffisant pour récupérer et vous le faire payer toute la semaine de taf’)… Et bien là, sur un extra ultra, comment vous dire… Bah non, on ne peut même pas imaginer, sans l’avoir vécu, ce que cela peut impliquer, comment tout est bouleversé, de votre sommeil à votre éveil, de votre respiration à votre digestion, de vos émotions à vos sensations. 6 journées de 22 heures de sport qui s’enchaînent… Pensez-y….
Je m’engage dans un 650 D+ pour la prochaine étape. Je suis en forme et motivé. Vite la pente est forte et je débouche dans le minéral. La pleine lune, très vite apparue, nous donne encore des lumières terribles. Ca sent « la Haute ». Pas trop de frontales en point de mire pour me diriger, mais je sais qu’il faut monter à plus de 2600 m. J’encourage un concurrent en déroute, trouve un photographe vaillant en pleine montagne, et bon an mal an j’atteins après 1h45 le refuge de Cuney. Chouette montée que je viens de faire. 
Tout en joie j’entre dans le barnum avec le sourire, et devant la mine un peu fatiguée des bénévoles j’engage un pas de danse. J’enchaîne avec l’air « des yeux d’Emilie » jouée par la banda de Pomarez qui sort de mon téléphone. En face c’est la circonspection…c’est quoi cet hurluberlu ? Allez zou, je leur épargne les cuivres et vais m’attabler.
22h, je ne suis pas certain que le prochain bivouac ait des lits. Je mange un peu et au moment d’aller au dodo je croise Antho qui est sur le point de partir. Il vient de dormir un peu. Raph l’a fait au refuge d’avant et je lui suis alors repassé devant. Les bénévoles devaient me donner l’info mais je ne l’ai pas eue. Il est donc possible qu’il ne tarde pas à se pointer. En tous cas je file dans le dortoir où il ne fait pas chaud, pour 1h30 de dodo sous 2 couvertures.
Le temps de se rééquiper, de refaire les pansements, remanger et se mettre en route voilà qu’il est minuit passé. Je pars seul dans une montagne magnifique. Tout là haut la lune nous donne son spectacle. Autour je devine les formes, les crêtes, les à pics, plus loin les vallées, encore plus loin les hauts sommets. Complètement magique. Cette nuit est féérique, je me régale. Je commence à recroiser les mêmes têtes, comme Massimo le barbu italien. Progression un peu technique sur cette montagne russe d’altitude, mais j’atteins le bivouac Clermont en forme vers 2h20 du mat’. Minuscule bivouac. Une pièce de 10 m² avec 6 couchages contiguë à une minuscule cuisine de la même taille. Les 3 bénévoles à la patience infinie nous y réchauffent des pâtes à la poêle. Je suis très reconnaissant de leur investissement, à rester ici 3 ou 4 jours dans le froid, le  vent, le passage, les odeurs à gérer des concurrents bien fatigués. Chapeau bas. 
Je ne les accapare pas plus et vais finir une micro bosse pour atteindre le col de Vessonaz (2794 m) à 2h45 du mat’. Je ne sais plus à combien de cols j’en suis, mais je sais qu’il m’en reste moins à faire…265 kilomètres ici.  Mon espoir d’arriver ce vendredi soir s’est envolé. Je vais devoir encore batailler une nuit. Peut-être que dans 24 h pour ces derniers 75 kilomètres suffiront. Mais çà me ferait suer d’arriver de nuit. 


Deux renards dans la nuit

Descente de 10 kilomètres et 1400 D- maintenant. Le truc que je redoute un peu je dois dire. Mais je suis en pleine forme et ce sentier, tant dans le minéral qu’ensuite dans la foret, donne à courir. Alors je me fais plaisir et mine de rien je boucle la descente quasiment tout en courant. Juste arrêté en son milieu par un concurrent en détresse. Je suis en pleine cavalcade quand à l’orée de la foret vient vers moi un grand escogriffe à la longe chevelure blanche. Je me dis d’abord qu’il s’agit d’un berger qui monte à l’estive, mais je m’aperçois vite qu’avec un dossard c’est incongru. Le type est en train de remonter vers le col !
« Tout va bien ? Où vas-tu ? » - « Ca va oui, j’y comprends rien !» - « T’y comprends rien, mais là tu remontes, il faut descendre le chemin jusqu’à Oyace » - « Je sais pas, la course est finie » - « Mais non, suis moi, il faut descendre » - « Non, les gars sont en train de débaliser, c’est terminé, je repars » - « Mais non, arrête de déconner, mange un bout et viens avec moi vers en bas, là tu remontes » - « Je sais plus, qu’est ce qu’on fout là ? » - « Bah on est sur le TOR, mais il faut que tu descendes ».
Le type est complètement dans le gaz, çà s’appelle une belle hallucination. Il s’assoit sur un rocher et commence à manger. Je suis rassuré et peut repartir dans le bon sens. A la remise des prix du dimanche je le retrouverai, il s'appelle Pascal Albert. Son « absence » aura duré près de deux heures, et d’autres l’auront croisé (dont Antho). Il finira malgré tout la course et on en rira bien. Les hallu font partie intégrante de ce type d’épreuve…il faut faire avec.
Avant d’arriver à Oyace un dernier petit coup de cul qui fait mal, et Cyrille m’accueille vers 5h30. J’ai fait une belle descente, j’ai repris un peu de temps sur Antho et Raph qui sont là. Même si je suis en forme et sans envie de dormir je prends un peu de temps pour bien manger et me soigner. Un  concurrent français (Jacques-André) et son épouse bien sympas (que je croise depuis plusieurs jours) s’étonnent de ma souplesse. 
A côté la concurrente grecque à la crinière blonde artisanale est encore dans son personnage. Celle là depuis le début elle saute aux yeux. Pleine de déférence dans le regard et les attitudes avec tout le monde, elle se la joue bonde fatale auprès de tout ce qui bouge, du mâle italien au photographe nippon. Entre autres exploits depuis le début : réussir à boulotter une pizza qui ne lui est pas destinée, demander à Claire qui masse Antho de lui faire pareil, ignorer royalement les bénévoles, se trimballer nue sous son t-shirt aux toilettes d’une base de vie…et ce n’est pas fini. Tout le monde se demande bien ce qu’elle fait ici, et son air si faux et si peu avenant ne lui attire aucune sympathie ni aucun encouragement ….
Je prends du temps pour souffler et papoter avec Claire/Cyrille. On s’imagine déjà s’attendre au dernier refuge avant l’arrivée à la nuit pour boire une bière tous les 5 ensemble avant le lever du jour prochain. Je repars confiant, peut-être un peu trop, en pensant déjà à l’arrivée. La suite me le fera payer… 


 Choc des cultures


Bernard le suisse, Antho et Raph prêts à repartir

6h30, foret vers le col de Brison. Le jour se lève et c’est beau ! 


Un regard en arrière sur tout le massif arpenté en fin de nuit, et la descente vers Oyace



Ascension peu difficile si ce n’est son dernier raidillon, où je retrouve mon hongkongais hélicoptère.


Le dernier ressaut vers le col de Brison

Je passe le col à 2500 m vers 9h. Coup d’éclat oculaire ! Le soleil pleine poire, en face le col de Champillon qu’il faudra prendre tout à l’heure, et derrière le mont Blanc dans toute sa majesté. Punaise, çà se rapproche, on y est presque. Se dire qu’au pied du Mont Blanc est l’arrivée…terrible.
Le Mont Blanc pavoise derrière le prochain col (Champillon)
Mais plus terrible est cette descente à pic qui m’attend. Tout en bas il y a la dernière base de vie d’Ollomont. C’est à 6 kil mais 1100 de D- concentrés dans les 4 premiers kilo. Ca pête les pieds et les jambes. Certains souffrent vraiment. 




Descente vers Ollomont….

Je m’escrime à avancer tant bien que mal mais mes œdèmes me rappellent à l’ordre. Mes pieds sont des blocs de béton dans des boites à chaussures, mes chevilles des madriers aussi souples qu’un coude PVC, mes mollets des poteaux de rugby, mes genoux des petites pastèques bien rondes. Tout cela a bien gonflé, et tout cela est super douloureux, surtout les pieds quand ils rencontrent une surface non plane (ce qui est légion). Micros piqures et décharges électriques à chaque pas. Mes bâtons pour un transat à l’ombre, mon béret pour un ruisseau glacé ! J’en serre les dents, je tiens bon, mais çà me tire des larmouillettes quand même. Un ravito posé à 3,5 kil de la BV m’offre de la charcuterie braisée que je marie à du fromage maison. Mais sans déconner c’est un régal cette course !!!!

Les anges gardiens nous attendent


Voici la jolie bourgade d’Ollomont qu’il me faut traverser en compagnie de Cyrille. 11 h, la dernière base de vie…la 6° étape est bouclée, plus qu’une…incroyable ! Antho et Raph sont en train de se restaurer. Ils ont toujours à peu près 1 h d’avance sur moi. C’est sympa de se croiser encore. Cyrille et Caire restent avec eux et je me trouve un peu seul à gérer ma transition. 



Je mets mes crocs et file de suite poser mes pieds dans la fontaine à proximité. Les pieds et chevilles ont une sale tête quand même, ils me font bien gamberger. Mais j’ai reçu les sms d’encouragement d’Apos (qui a été rattrapé par la BH vers la mi-course), de Ji-Pé mon ange-gardien, de Pat’ ma belle, de mes Renards Denis et Eric, d’Olivier qui m’a guidé en live sur les difficultés à venir et les options de dodo…Merci à vous tous.
Douche et massages. Je m‘y endors sous les mains de deux masseuses. Ensuite c’et le festin. Dans la salle commune le menu est annoncé avec 9 plats à choisir ! Sans déconner, irréel !!!! 
Qu'auriez-vous choisi ?

Et la petite dame qui me dit de m’asseoir et prend ma commande. Interdit de me lever, elle m’apporte ce que je veux. Je craque pour une escalope de jambon au four + une omelette pommes de terre et oignons. Fruits et yaourt complètent le tableau pour un vrai repas à l’ombre dans cette micro taverne. C’est terrible cette base de vie, comment avoir envie d’en repartir ? 
13h, je dois me faire un raison, même si la barrière horaire est à 21h. Je suis environ 350 ° et dire qu’il y a encore près de 300 concurrents encore en course derrière moi.

Section 7 : Ollomont - Courmayeur : Solitude, souffrance…Géant !
Je file sous la chaleur, avec ma casquette GTVO, environ 1 h après Antho et Raph. 

J’ai toujours en tête l’arrivée cette nuit, et le fait qu’il ne reste quasiment rien à faire. C’est un peu l’euphorie et je n’y fais pas assez attention, même si je sais que je dois gérer ma course en solo. Trop de sentiments qui se bouleversent entre les appels à Laeti qui m’accompagne de la voix, Claire et Cyrille pleins de joie qui m’encouragent (et me font presque oublier la difficulté de ce qu’on fait), les barrières horaires loin derrière, le fait qu’on soit vendredi et qu’on c’était dit qu’un samedi de récup’ au camping serait pas mal… Et puis insidieusement la ligne qui s’approche et les émotions qui remontent, tant dues à la difficulté, aux sentiments d’impuissance, d’abnégation, de résignation, de félicité qui se succèdent… Les larmes et les sauts de cœurs me montent souvent.
Allez zou, c’est une foret bien ombragée qui m’accueille heureusement, mais vite à 2000 m je débouche sur les alpages. 
Ca va chauffer derrière…
Gros coup de chaud. Je gère au mieux mais çà cogne sévère, pas un pet de vent ni d’ombre. 
Un regard en arrière vers le col de Brison et la descente de ce matin (tout en bas est Ollomont)

Je trouve une source alimentant un abreuvoir propre. J’y plonge la tête goulument en faisant gaffe à l’hydrocution. Aaaaarrrrrgggg, c’est bon ! Ca monte toujours, jusqu’au refuge Champillon dans un premier temps. 1000 mètres positifs de fait depuis la base de vie mais c’est hard, certainement sur du +33°c ressentis. Dingue les amplitudes connues sur cette course. Le surnom que lui a donné Antho se vérifie : c’est bien le TOR Vivaldi, le TOR des 4 saisons. 4 saisons dans une journée, 4 saisons dans une semaine.
Refuge Champillon : à l’intérieur il y fait encore plus chaud empli qu’il est de Toristes, de touristes et de Glaciers. Invitation à l’oisiveté avec ses fauteuils extérieurs, son reggae diffusé par les enceintes, son coca frais et une vue démente sur les glaciers (et la terrible descente du col Brison). Mais je préfère ne pas traîner et file vers le col à 270 D+ de là.

Magnifique message au refuge

Col de Champillon – 2700 m – 15h25. Tout est grillé là haut. Je converse avec un couple de touristes hollandais qui n’en revient pas de ce que l’on fait. Je prends le temps d’un paquet de bonbons en regardant le paysage à l’ouest. Mince il reste à faire quand même !!!  J’aperçois la barre de montagne où se trouve le col Malatrà et le Mont Blanc derrière. Cette nuit ? Demain matin ? Je ne suis pas rendu. Je bascule motivé en courant dans la descente. 


Et une descente de plus, une !

Ca va bien au début, mais les cailloux, les cassures de pentes et la chaleur d’été me ramènent vite à la raison. Je trouve deux jeunes gars appliqués à remettre des fanions que les moutons ont boulottés. Cette descente n’en fini pas, et il n’y a surtout pas d’ombre ni de source… Je prends sur moi. J’ai descendu de presque 900 m D- mais je n’ai pas la force d’attendre le ravito. Je me pose à l’ombre à quelques encablures, afin de mettre les jambes en l’air et faire une sieste de 10 minutes.
Ravito de Ponteille Desot : un nouveau guet-apens. Ils ont douze, je suis seul. Alors que revigoré par ma micro sieste je me suis mis en tête de courir la section prochaine quasi plane (tout est relatif) de 10 kilomètres vers Saint Rhémy, je me vois proposé de goûter à la polenta. Allez, pour vous faire honneur, mais je n’ai pas que çà à faire. Erreur stratégique, cette polenta est une merveille (pour changer…). J’en reprends, et du coup m’allonge par terre, polenta à la main, tête à l’ombre, verre frais à mes côtés, vue de dingue sur la vallée. L’arrêt qui devait se faire en deux minutes, juste histoire de recharger mes gourdes, se transforme en mi-temps de rugby. Je me lève, le ventre bombé, au moment où l’un de ces chenapans pose sur le grill du steak haché, des crevettes et des sardines !!!! Mais sans déconner, faut que je m’échappe, libérez moi !!! Ni vu ni connu je leur adresse mes plus vivaces Grazie, et file avec Stefano l’italien. Heureusement que je n’ai pas atterri à ce ravito une fois les sardines cuites…


 Le délit et les coupables !

Benh voilà, c’est gagné, je ne peux pas courir. Il faut attendre la digestion. Alors je papote avec Stefano. Chouette italien qui vient du lac de Côme. Au bout d’un quart d’heure, et une petite grimpette surprise quand même, le chemin s’aplanit puis descend légèrement. L’heure de relancer les gambettes. J’alterne course et marche rapide espérant refaire un peu de mon retard sur le temps pris à ce ravito. 
Je rencontre Nicolas, marseillais véhément (quel marseillais ne l’est pas) qui engueule son père au téléphone. Lui aussi estime que l’on fait du trail, et donc que si l’on peut courir on doit y aller…quitte à le payer après… On chemine un bout ensemble, parlant de tout et rien, mais certains qu’on est en train de vivre un truc de malade depuis le départ.
Je tombe sur Paxi, un basque espagnol, qui tchanque grave. Comme moi il a des œdèmes aux pieds et me demande s’il pourra finir ? Oui amigo, si tu prends soin de tes pieds. Et çà tombe bien, à 19h, à l’entrée de St Rhémy, je tombe sur une fontaine. Je demande au local qui répare sa toiture si je peux m’y tremper. Cela ne le gêne pas du tout. Me voilà les gambettes à l’eau avec le sourire des villageois. 



Nicolas, Stefano et consorts me repassent devant. Je m’en tape, je jouis !!! Voilà Paxi, que j’exhorte à venir me rejoindre. Il hésite, mais ne le regrettera pas. Scène incongrue de deux types sales comme des biques, hirsutes, mais hagards de béatitude assis sur le parapet d’une fontaine de village. 5 minutes suspendues.
Je rechausse et tombe sur une famille qui veut m’inviter à prendre le thé à la maison. Je refuse poliment et me voilà à retrouver Cyrille à l’entrée de Bosses. 19h30. Kilomètre 308, c’est le pied de la dernière grande difficulté. Ce village se prépare à l’arrivée de l’arrière-garde du peloton. Il vibre TOR. Les braseros sortent, les enfants tapent dans les mains, les vivas sont émouvants. Juste assez pour me toucher au cœur. Antho et Raph partent à l’instant. Je leur ai repris du temps, mais ils ont dormis auparavant, alors qu’il faudra que je le fasse au prochain refuge.
Sous la tente il y aussi Jean-Michel, un ancien Sénateur du TOR qui accompagne Romain, l’un des 6 derniers participants ayant terminé les 10 TOR des Géants (les Sénateurs). Ce ne sont plus des Géants mais des monstres sacrés. Rendez-vous compte : avoir le courage depuis 10 ans de se relancer et de terminer le TOR des Géants. J’échange avec lui sur le pourquoi d’une telle persévérance (qui reste un mystère), de quels ressorts psycho il utilise pour se faire, et sur les détails de la suite. Sa bonhommie et sa sympathie sont touchantes. Dire qu’il y a quelques années il avait enchaîné le TOR puis un TOR dans l’autre sens avec juste une nuit de repos…inimaginable.
 Jean-Michel (à gauche) et Romain. Deux Grands parmi les Géants
Technique de réveil originale (hamburger patates)
Je prends une demi-heure ici, mais je ne veux pas m’y « endormir ». Il est 20h mais à vrai dire je ne sais plus trop où j’en suis. Il ne reste qu’une difficulté, Malatrà me tend les bras, mais les œdèmes sont si violents. Cette épreuve est si violente comme me l’a exprimé Raph. On se met à mal très sérieusement, à la limite du raisonnable Cela se fait jour à ce moment quand je repense à mon enchaînement SP360 et TOR. Ca ne va pas bien dans nos cerveaux quand même !
Touché, mais pas coulé

Tiens revoilà la Grecque, qui passe en coup de vent dans le barnum sans pointer…les bénévoles lui courent après pour la rattraper.
20h donc, la nuit se pointe, je sors la frontale. Sous les encouragements du duo infernalement joyeux d’anges gardiens que sont Cyrille et Claire, je pars pour Malatrà. Juste un 1400 m positif sur 11 kilomètres, auquel succèdera juste un 1700 D- sur 19 kilomètres. Mais ces « justes » sont partis pour me prendre une bonne douzaine d’heures.
Partir pour boucler la boucle, en solo, en doublant des loups solitaires. Tout d’abord ce japonais au comportement complètement irrationnel. Dont la tête tourne dans tous les sens, sa frontale balayant le ciel, le sol, les alentours. Il zigzag. Je lui demande si tout va bien, réponse incompréhensible, avec des mots anglais sortis de leur contexte. J’insiste, il me dit que si je veux aller à Malatrà il faut que je le suive… Je sais bien où je vais oui, mais lui je n’en suis pas certain. Contact difficile avec les asiatiques, grande différence de cultures, de codes sociaux, de postures. Je ne sais si je dois appeler l’orga ou rester avec lui. Il y a tellement de situations atypiques en ultra, la norme n’est plus la même, nos raisonnements et positionnements non plus. Je décide de prendre les devants et de le suivre du coin de l’œil en arrière. Pendant des minutes je le verrai ainsi toujours agir ainsi, mais progresser.
Je repars dans mon rythme et double Stefano l’italien, avant d’atteindre les ruines d’un village et tutoyer l’immense barre rocheuse qui monte à notre gauche. Des lumières au loin, des loupiotes, des étoiles. Constellations éparses dans les cieux et les cimes. Cette progression est singulière. Pas de groupe, que des individus qui me semblent éloignés tous de la même distance, comme si chacun était plongé dans son effort, avec son soi, dans sa retraite personnelle. 

Ma retraite m'impose à ce moment de lutter contre une légère pointe de sommeil. Dans le silence alentour, bercé des feulements du vent, j'ai besoin d'un murmure singulier et habituel. Jamais de musique dans les oreilles, car je ne conçois pas de faire un ultra sans être tout ouïe à ce et ceux qui m'entourent. Alors, tout naturellement, je me fredonne mon titre préféré et vocalise dans un souffle rauque l'immense "Thunder Road" de Bruce. 3 minutes dans mon moi, avec celui qui a mis des mots sur ma vie...dans ma retraite.
Je passe la grecque, sans compassion pour sa difficulté, et me voici aux fermes de Merdeux, à 300 m D- du refuge. Lente mais ferme progression dans cette nuit douce étoilée et illuminée. Les pierres plates sont chacune marquées d’un dessin : ci un ours, ci un cerf, ci un renard. Je ne rêve pas, ces dessins humides me sont réels. Je dois prendre des photos, sinon personne ne croira que j’ai vu çà. Et puis merde, je n’ai pas envie, j’en profite. Je m’offre une micro-pause sur un rocher, me sustenter, en contemplant ces contreforts.
C’est irréel d’être ici après 5 jours entiers de progression. Là-haut c’est Malatrà, derrière c’est l’arrivée…mais pour combien d’heures encore. Il me semble que je vais passer autant de temps à finir que tout ce que je viens de faire. L’immersion est profonde, sans équivoque ; la montagne m’a happé. Repartir, tout en me disant que cette montée je l’ai déjà vécue, ce virage je l’ai déjà pris, derrière cette arête je sais qu’il y a le refuge, j’en connais même la terrasse. Pourtant je suis lucide, pas en hypo, mas j’ai déjà vécu tout çà. Raphaël C. me contera lui aussi la même sensation au même endroit. Et pourtant, nous ne sommes jamais venus ici… Irrationnel, complètement.
Voilà Frassati, enfin, déjà, je ne sais plus. 23h30. Grand refuge, aux bénévoles pros. Pas plus d’une heure de dodo autorisé, à moins de s’allonger sur les bancs. Je discute avec Romain le Sénateur de ce qui reste à faire derrière, il me donne ses conseils. J’ai les pieds en feux, les jambes en bois. Je mange et vais faire dodo. Au réveil c’est irréel, je ne sais si je dois partir ou profiter de l’âtre. Me lancer avec une seule heure de sommeil sous peine de tomber de fatigue avant l’arrivée.
1h30 du mat’, samedi, je tente le coup. Un léger vent frais accompagne ma sortie où je retrouve vite Nicolas le Marseillais. On papote, on hésite sur le chemin à prendre mais on est émerveillés du décor. Il est à la peine, a du mal à dérouler et me dit de filer à mon rythme. Un grand détour à faire, Malatrà se mérite, il ne se voit qu’au dernier moment. Un Japonais me colle aux basques, c’est celui de tout à l’heure, il a l’air d’aller mieux. Je lui apprends à éteindre sa frontale pour se laisser porter par le clair de lune. D’abord hésitant, il est conquis. La première féminine du TOR des Glaciers nous double, à un bon rythme, bluffant.
Le souffle se fait court, mais c’est le dernier coup de cul. Passage délicat, quelques chaines et coursives, et voilà le col de Malatrà, le mythique. Un bénévole nous y attend. J’y suis mais je n’ose pas franchir les derniers mètres. « Dire que l’on a fait tout çà pour être ici, lui dis-je », « J’ose pas franchir le pas ». Je me retourne et contemple les alentours. J’hésite une minute. Grandiose tout simplement.
2h30. 2936 m. Sur le col, si étroit, si taillé, si attendu, j’ose pousser un cri. 




Où comment démystifier Malatrà en 3 photos pourries

Derrière ce n’est presque que descente dans un cadre époustouflant. Je bascule, en trottinant, mais pas bien fort. Je sens vite que les 16 kilomètres restants ne seront pas si simples. 600 D- jusqu’au ravito de Malatrà où les bénévoles me permettent de mettre les jambes en l’air dans leur minuscule cahute près du chauffage. Un petit ravito express avant de refaire une bosse de 200 D+ jusqu’au Pas entre des Seuts. La montée çà va, mais la descente derrière me remet le calvaire. Impossible de courir, je marche si péniblement.
Ces œdèmes m’altèrent gravement alors que les muscles répondent. Je lutte pendant des dizaines de minutes, qui se transforment en heures. J’ai l’impression de ramer mais pourtant personne ne me reprend, mis à part Nicolas qui a retrouvé des ailes et s’excuse de me passer. Ca descend toujours, infiniment, dans cette combe. Le soleil n’est toujours pas à l’horizon, je suis quasi seul. Un trail lunaire me ferait le même effet. Je vois bien en face l’immense massif du Mont Blanc, mais il me semble inatteignable. 
Il doit être 6h du matin quand je passe enfin le ruisseau vers Arminaz, pour récupérer le sentier en balcon de l’UTMB. Je ne sais pas comment je suis arrivé jusque là, je suis quasi à sec de nourriture, j’ai mal évalué cette section, prêt à appeler les secours. 3h30 qui en ont paru le double.
Un coureur me passe et m’indique le refuge de Bertone, le dernier, à environ 6 kilomètres. J’en tombe des nues, mais je m’accroche. Quelques trailers viennent en sens inverse pour s’entraîner où à la rencontre de leurs amis. L’horizon commence à s’éclairer. Je croise un panneau qui me l’indique à 1h15, j’essaye de ne pas en tenir compte, ce doit être une hallu, mais à quelques encablures un couple me le confirme : au moins une heure encore. Je me prends la tête à deux mains, crie « Non, c’est pas possible !!! », et m’effondre sur le talus les larmes aux yeux. Ils ne comprennent pas, mais je suis à bout, pourtant si proche. Ils sont condescendants, m’encouragent à repartir, mais 100 mètres plus loin je m’assieds sur un rocher.
L’aube est là, éclairant à ma gauche le majestueux Mont Banc. 



On est samedi matin, je n’ai pas fini la course. Claire me textote que les gars sont arrivés à 5h04 (310° place). 



Je lui réponds, comme à Laeti, que je suis au fond du seau, complètement à l’agonie. Il me reste 10 kilomètres. Je prends 3 des 5 cacahouètes qui me restent et tourne la tête. A gauche un autre type est assis, affalé sur un rocher. Il a l’air plus en panne que moi. Je m’approche, c’est Nicolas. Il dort la tête sur ses genoux, la veste ouverte.
« Qu’est ce que tu fous là Nico ? ». « Je ne sais pas, c’est fini ? ». « Mais non, on est pas arrivés ». « Je crois que je me suis endormi, j’ai froid ». « Putain, lève-toi que je ferme ta veste. Allez viens par là ». « Non mais de toutes façons la course est finie, ils débalisent ». « Mais non, t’es cuit, on est encore dans les temps ». « Je sais pas j’ai croisé des types, c’est fini, j’ai pas trouvé le refuge ». « Mais si, c’est par là, viens on y va ». « J’ai plus de frontale, je crois que j’ai dormi, je savais plus où allez ». On se lève, un éclopé et un en hypo, pour cheminer de concert vers le refuge. Il me dit « Mais je suis déjà passé là putain ! ».
 Je lui donne mes deux cacahouètes restantes et en échangeant, alors qu’il est toujours complet dans le gaz, nous en arrivons à la conclusion suivante. En forme dans la descente il a peu mangé. Au moment où sa frontale s’est éteinte il a galéré pour allumer l’autre et la fatigue comme les effets de l’hypoglycémie lui sont tombés dessus. Il a essayé de progresser mais a dépassé le refuge (situé en contrebas) sans le voir. Sans fanions il est reparti en arrière, dans le même sens que certains trailers hors de la course. Puis après quelques kilomètres, en retrouvant le ruisseau, il est à nouveau revenu sur ses pas. La fatigue et la désorientation l’ont fait se poser sur le rocher, jusqu’à ce que je le trouve. « Putain mais normalement je devrais être arrivé déjà…Merci, tu m’as sauvé la vie ». Complètement dans le gaz le Nico.
Entretemps le soleil s'est levé sur le Mont Blanc
7h37, le jour est bien levé, enfin nous arrivons au refuge Bertone. Nico encore à moitié ailleurs se dirige directement vers la secouriste et lui dit « Dites, il faut que je vous raconte je suis en hypo et j’ai plein d’hallucinations ! » Oh le con ! Juste ce qu’il ne faut pas faire. Je le choppe et lui dis de se taire si il veut éviter le hors course, et je le prends en charge devant la secouriste lui exhortant de prendre du coca et des friandises. J’occupe l’attention de la miss en lui parlant de mes œdèmes et en mettant les jambes en l’air. Elle est rassurante, comme tous les bénévoles. D’ici ce ne sont plus que 6 kil et 750D-  de descente. On aperçoit d’ailleurs Courmayeur en contrebas. 


Courmayeur !!!!!!

Ca me file un boost terrible. Au bout de 12 minutes on repart. Nico a retrouvé ses sensations, je lui dis de filer, il a envie d’arriver et d’aller se coucher.
Je m’escrime à recourir, dès que c’est possible. D’ici une grosse heure je serai arrivé de toute façon. Les sensations reviennent, encouragées par des dizaines de spectateurs ou randonneurs qui montent à notre rencontre. J’en profite pour doubler quelques concurrents dont le japonais et Stefano. J’envoie des sms pour rassurer et dire que j’arrive, dans un Courmayeur qui s’ébroue gentiment.
L’arrivée on y pense souvent, et quand elle commence à se matérialiser depuis un ou deux jours, on imagine ce qu’on fera sur la ligne. J’ai eu plein d’idées mais là c’est le feeling qui me berce. Je me laisse porter par cette fin de course, en courant, en pesant ce plaisir d’un TOR en passe d’être achevé. Un TOR ce n’est pas rien tout de même. 
Alors quand je retrouve le bitume, Claire et  Cyrille, j’ai le sourire. Il est 9h et les cloches sonnent, finalement j’arrive de jour, comme je l’avais voulu (même si avec 12h de retard). Les sourires aux passants, les checks aux enfants, les larmes au coin des yeux. J’ai rêvé des années à cette dernière ligne droite, à ce vibrant hommage des valdotains aux finishers du TOR. Certes ce n’est pas l’arrivée du premier, mais elle touche.
Dernières foulées, dernières douleurs. Je lève les bras, je crie, « Gigante !!!! ». Je savoure, je suis sur la marche d’arrivée du TOR des Géants… Je suis un Géant. 



Claire et Cyrille sont là, ravis, je les enlace. 


Eux aussi sont épuisés…! 

Derrière l’écran je sais ma famille proche, comme mes amis sincères et chers. Sur le tableau de suivi je sais que s’affiche « Courmayeur : 9h02’ ».  Ceux qui le souhaitaient savent que je suis arrivé. Je peux tout relâcher.
353° (sur 960 partants : 380 abandons + 580 finishers)
Au ravito que de la bière, j’aurais aimé un verre de vin. Mais ma médaille autour du cou me suffit.
Je signe avec grande fierté l’immense affiche du TOR où chacun des finishers appose son paraphe. Le mien est SylFox. Je voulais tant faire partie de cette tradition.



Une volontaire valdotaine s’approche et me dit : « On s’est croisé il y a 3 jours à Donnas. Je vous avais demandé pour votre béret et vous m’aviez parlé de son histoire, de votre arrière-grand père. Je suis heureuse pour vous, vous l’avez porté au bout, vous avez réussi ».
Laeti m’appelle. Elle le sait, je ne puis lui parler : « Tu pleures ?...Bravo mon chéri. Je te rappelle tout à l’heure ».
Puis il faut quitter ce lieu saint (bah oui, carrément, « saint »). Le corps se relâche et j’ai peine à progresser. 
Petite récup' en route vers le camping

Mais j’ai la chance d’être entouré de 2 puis 4 vendéens. Et même si nous rejoignons le camping à 10h du mat’, aucune fatigue ne saurait les laisser en déliquescence. 

Les affaires semi déballées et la douche prise, nous voici à faire de la cryothérapie dans la piscine gelée et s’enquiller le premier apéro bien avant midi. S’en suivront une tripotée d’autres jusqu’à minuit, du camping à Courmayeur, au gré des retrouvailles avec nos amis finishers (ou participants), dans une franchouillardise assumée et délirante. Profiter entre nous de ces moments partagés, de ces souvenirs que nous venons de nous forger et de cette nouvelle histoire que nous avons écrite, chacun à notre niveau, chacun avec nos ressentis, chacun avec son courage. De grands moments de fraternité.
 L'effet des 2 apéros d'avant midi



 Les 5 Toristes


Amitié et Prosecco avec Emilie et Apos

Accompagner et voir arriver à 18h les deux derniers finishers jusqu’à la ligne. Dans une liesse portant le respect de chacun à son paroxysme, les vainqueurs de la course les accompagnants jusqu’à la ligne, les yeux de tous embués. Vivre ce moment fut précieux.
La seule déception viendra de la réception de fin de course du lendemain, bien trop longue, sans mise en avant des 6 sénateurs, à laquelle nous recevrons un simple un t-shirt de coton en dotation de finisher. Je ne suis pas matérialiste, mais là il me reste en travers. J’attendais au moins la mythique veste du TOR…


 Avec Raphaël avant et après la réception du t-shirt en coton jaune de finisher 

Très nombreux sont ceux dont j’ai croisé la route sur cette semaine, qui ont marqué mon TOR et ont façonné cette histoire.

Merci à ma Laeti (il y en a tellement dans le monde du trail…) pour son soutien et ses encouragements, nuits et jours, pendant cette odyssée. Cela m’a fait tant de bien de te savoir si proche, à l’affut, impliquée.

Merci à Antho et Raph de m’avoir accompagné tous ces bouts de chemins, d’avoir été d’une décontraction remarquable, d’un humour ravageur et d’une compagnie si agréable. Vous avez assuré les mecs, c’était de la balle.
Merci à Claire et Cyrille pour leur implication sur la course et leur présence réconfortante. Ce n’est pas évident d’assurer une assistance, alors pour 3 coureurs…Mission accomplie, bières méritées !


Merci aux autres acteurs, amis et rencontres, qui ont façonné ce TOR : Apostolos, Emilie, Raphaël, Miguel, Titi et sa Laeti, Patrick, Jean-Luc, Fred, Nicolas, Massimo, Stefano,  Sébastien, Daniel,  Xavi et tant d’autres…

Jean-Luc et Fred Gil (bravo pour ta perf Fred)
 Avec Paxi, le duo œdèmes 
Avec Massimo, le duo barbu

Louis Louarn, le néo-calédonien

Avec Titi, Raphaël et Miguel

 Avec Sébastien

Avec Romain, Sénateur (les 10 TOR des Géants terminés...!!!)


 Stefano, Nicolas et Jacques-André

Massimo et Vittorio

Géants !!!

Merci à vous tous qui ont pris le temps de m’envoyer un sms, de m’écrire, de m’encourager, de me suivre… Cela m’a fait et me fait toujours chaud au cœur, tant pendant cette course, que dans ma vie quotidienne.
Et un immense bravo à tous les bénévoles du TOR des Géants, et aux valdotains. Quelle leçon !
Le TOR est une montagne de l’ultra trail, un mythe, un rêve. Et j’ai vécu mon rêve en 141 h (dont 1h de sieste et 9h30 de dodo).
A quoi rêver désormais… ?