Le fantastique Voyage - Ronda dels Cims 2016

 LE FANTASTIQUE VOYAGE

« Vous allez partir pour un fantastique voyage ». C’est par ces mots que Gérard, organisateur en chef avec Valérie de l’Andorra Ultra Trail, nous accueille à l’auditorium d’Ordino pour le briefing de cette Ronda dels Cims 2016. Un fantastique voyage oui ! Je ne l’avais pas appréhendé comme cela il y a 4 ans, lors de notre premier essai réussi avec Denis sur cette course dantesque. Pourtant, in fine, c’est bien de çà dont il s’agit.

Un fantastique voyage à travers l’Andorre, ses sommets, ses cols, ses vallées, c’est bien comme cela que je vais l’appréhender. Je m’étais pourtant bien juré de ne jamais y revenir tant j’avais souffert. Mais l’appel de ce magnifique pays, de cette organisation si pro (il n’y a qu’à voir le briefing pour s’en convaincre) et la proposition de Denis de s’y relancer m’ont convaincu. Alors ce voyage, ce réel désir et besoin d’en profiter, ajoutés à notre expérience de la course, je décide de m’en servir de levier, de moteur. Ainsi ne pas me focaliser sur les difficultés à venir, que pour certaines je redoute.

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En route, pour un beau voyage...
Un temps de plage pour certains... Quel briefing !

Une 2° veste de finisher à aller chercher !

Nous voici depuis quelques jours à arpenter les recoins encore inconnus de la principauté, avec les USDR retrouvés. Laeti, Pierre, Jean, Carole, Lolo, Léa et Matthieu sont aussi de retour pour nous accompagner, nous encourager et nous assister comme ils savent si bien le faire. Ana n’a pas pu être du voyage, retenue par ses bambins. Et ma petite sœur, putain elle va me manquer. Elle si fervente et si enthousiaste lors de nos grosses épreuves est terriblement frustrée. Mais elle sera avec moi, tout comme mon ami Hervé à qui je pense fort ces derniers jours.

Un fantastique voyage donc. Gérard, en terminant son allocution par quelques mots en nippon pour saluer l’impressionnante cohorte japonaise, à fini de forger ma zénitude. Aucun stress, juste l’immense envie d’être à demain matin. Je m’Andorre comme un bébé…

Finalement un pet de stress, quand, déjà en route pour Ordino à 6h15 du mat’, Denis nous annonce qu’il a oublié son dossard.

 Un poil difficile le réveil pour les jeunes USDR, mais ils tiennent à être au départ

 6h50, le sas de départ, les tambours, les derniers bisous et accolades, le cœur qui s’accélère, le bonheur si proche. 


Les géants d'Ordino fendent les trailers

6h55 un impressionnant silence s’abat sur nous, j’en profite pour tout relâcher et savourer. Nous ne savons pas pour qui cette minute de silence est demandée. Nous n’apprendrons que le dimanche l’attentat à Nice….terrible…

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7h les feux d’artifesse, le compte à rebours qui s’égrène, jubilation…et c’est (re)parti !

 
 L'heure des...heureux                                      

Tumultueuse mise en bouche

Un petit tour dans Ordino pour étirer la cohorte des 391 trailers. Ca ahane déjà pour certains. Il faut trouver son rythme et ne pas trop mal se placer pour éviter l’embouteillage au début du premier chemin où nous attend Gérard (qui en sera quitte pour une belle bise de ma part).

Et nous voici dans les singles tortueux. Alternent parties roulantes, descentes agréables mais surtout beaux petits murs bien secs. Ceux qui ne connaissent pas l’Andorre rentrent de suite dans le vif du sujet : le droit dans la pente. Denis et moi-même avons rythme commun, juste perturbés par de bruyants lusitaniens gueulant dans la foret la joie de voir leur équipe de foot championne d’Europe (mais putain qu’on s’en balance et que c’est déplacé à cet endroit… !). Les 10 premiers kilomètres nous mettent sérieusement en jambes avec un dernier mur très raide dans la foret. Tout le monde est à la queu-leu-leu, veut faire bonne figure et se faire plaisir. Alors aucun ne lève le pied. De sorte le rythme est soutenu et les bâtons servent d’entrée de jeu.

Voici que nous sortons de la foret et que le grand vallon ascendant nous menant au 1° col se dévoile. Sur la crête au loin se détachent les silhouettes des premiers de la course. Tout autour de nous les magnifiques cimes andorranes sous un grand ciel bleu. Allez, pam, déjà plein les yeux ! Je suis en pleine forme, les jambes et la tête bien en place. Dans cette montée je remarque que Denis est un peu moins dans le rythme. Il est à quelques encablures derrière et même si je lève le pas il ne revient pas.

Voici le col d’Arènes d’où nous pouvons admirer une grande partie du parcours qui nous attend. Nous voilà dans les cailloux à rejoindre la Collada Ferreroles. Portion sympa, en hauteur, avec quelques dévers mettant déjà à mal les appuis. Denis me rejoint à quelques encablures du col. Nous y passons à 10h15, pour ces 17 premiers kilomètres et déjà 1 450 D+ avalés. Seulement 3 minutes de retard par rapport à notre chrono 2012. Nous sommes dans le bon rythme mais Denis me dit qu’il ne pourra pas aller plus vite.

Nous basculons dans la belle et facile descente vers Sorteny. Nous y avions couru un peu trop vite la dernière fois. Je lève donc le pied pour bien profiter, et temporiser avec Denis moins à l’aise dans les descentes. Il fait bon, je me sens bien, c’est le pied. Dans le petit bois nous entendons les encouragements venant du refuge. Je regarde mon chrono, nous aurons un peu de retard. Nous y voici, à remonter cette jolie prairie, avec au loin les dizaines d’accompagnants et bénévoles venus encourager les téméraires.

 A l'orée du bois...un Renard

 2 Renards !
Ravito à 10h39 (moins de 10 minutes de retard), à la 140° place. Tous les USDR sont là, nous aidant à ravitailler. Certains coureurs son bien pressés, se bousculant au ravito, pourtant la route est encore longue et le temps « perdu » ici est bien chimérique.

Inquiétude

Moins de 10 minutes d’arrêt et nous repartons pour une petite montée vers le Planell del Quer puis nous nous engageons dans la vallée de Rialp que nous allons monter pendant un long moment.

Allez, zou, on s'y remet !

Je trottine dès que je peux, car le relief et la température sont supportables. Néanmoins Denis n’est pas sur le même rythme, de sorte je suis souvent à une cinquantaine de mètres en avant. Lorsque la pente se fait plus difficile je monte aisément, mais il prend vite du retard. Quasiment au point où il avait eu une alerte fringale en 2012 je stoppe pour l’attendre. Il m’avoue ne pas être dans le rythme et ne pas avoir de bonnes sensations, rien dans les jambes. Quelques concurrents nous passent en nous demandant si tout va bien et nous encouragent. On se restaure, Denis prend le temps de souffler. Tout autour de magnifiques paysages avec les vautours qui planent, je dis à Denis de bouger sa carcasse avant qu’ils ne s’en occupent.

On repart dans une forte pente vers le col Portella de Rialp (km 26). Denis prend les devants, pour ne pas que je l’influence avec mon rythme. Voilà le col, où nous retrouvons le charmant bénévole plein de bienveillance qui était situé au col de la Gallina en 2012. Ses douces paroles envers tous font un bien fou. Il nous indique la Coma Arcalis au loin : « Maintenant vous allez rejoindre l’arrivée du Tour de France ». En effet, d’ici nous voyons bien une foule de voitures au ravito digne de l’arrivée de la Grande Boucle il y a quelques jours.

Chouette descente d’ici dans un premier temps, mais dans laquelle Denis n’est pas à son aise. Je suis repassé devant et, au détour d’une pause pipi, je vois Wilfried et Patrice nos amis raiders de la Team Estur’ nous rejoindre ! Je les avais cherchés partout dans le sas de départ pour les encourager et il me fait plaisir de les voir. Ils sont partis prudemment comme il fallait, et les voici très en forme. Ils m’informent que Denis n’est pas bien. On se tape les mains, je leur dis de faire attention à la descente et de ne pas accélérer, et je les vois filer.

Denis me retrouve, nous repartons. Deux kilomètres plus bas je m’arrête à un rocher pour vider mes chaussures de petits cailloux. Je ne vois pas Denis dans la descente que je viens de faire, je m’inquiète. Il arrive au loin, et stoppe dans la pente. Il est courbé en deux. Une chute ? Au moment où je m’apprête à remonter pour le retrouver, il repart. Il arrive finalement à grand peine. C’est une crampe aux adducteurs qui le paralyse. Il est déconfit, déçu d’être si mal en point pour un début de course. Nous n’avons fait que 28 kilomètres et il souffre le martyr, obligé de prendre du sel pour se soulager. Ses jambes n’ont aucune énergie. Je l’encourage à repartir après une nouvelle longue pause. Nous connaissons tous deux ces faits de course. Parfois tout va bien, parfois pendant des heures rien ne va plus. Il faut faire le dos rond, en attendant que çà passe.

Nous repartons en engageant la conversation avec un autre concurrent ayant fait l’édition 2013, celle modifiée pour cause d’un enneigement trop important des massifs. Nous discourons lui et moi de notre plaisir d’être ici, de voyager dans ce pays, d’en profiter à fond malgré la difficulté connue de ce long cheminement, qui a déjà marqué nos esprits et nos corps. Il s’appelle Anthony, vient de Vendée, et je vais le croiser souvent avec grand plaisir pendant ces 2 jours.


Et si çà çà ne vous donne pas envie de venir en Andorre !!!!

Tant bien que mal nous voici dans la petite pleine humide nous montant à Arcalis. Nombre de concurrents nous on doublé depuis Sorteny. Je progresse avec Anthony qui à envie de courir, mais je lève le pied car Denis n’est plus là derrière. Ca ne va pas mieux.

Ballade avec Anthony

Je prends le temps de parler avec Lolo venu à ma rencontre pour l’en informer.

Je vois aussi revenir Martine, la compagne de Francky avec qui j’avais couru la partie finale du GRP 2010. Elle est en forme. Francky et son pote sont là pour l’encourager. C’est beaucoup de plaisir de les voir eux aussi.

Martine and her Francky ;)

Arcalis, nous arrivons à la 205° place devant la caméra retransmettant en direct les images sur le site de la course. Bravo pour cette incroyable mise en œuvre de moyens techniques permettant à nos proches de nous suivre : des drones, des caméras, un suivi par check point et même un suivi GPS individualisé pour ceux le souhaitant. Je me suis équipé de ce GPS (un peu lourd) pour permettre aux USDR et amis/famille de nous suivre pas à pas dans la montagne. Ceci surtout pour éviter les longues attentes inutiles aux ravitos et l’inquiétude de ne pas nous voir arriver ni savoir où nous sommes. Laeti m’informe que le suivi marche super bien, avec des données de vitesse et topographiques supers didactiques. J’aurais presque envie de suivre ma propre progression en live…

Le suivi GPS

Bon, avec tout çà nous accusons un retard de 20 minutes sur notre route 2012 à ce 31° kilomètre. Rien d’inquiétant bien entendu puisque nous sommes dans la course, et largement dans les barrières horaires. Mais je suis beaucoup plus inquiet pour Denis qui grimace sévèrement, assis au ravito. Les yeux dans le vide, se demandant que faire, ne sachant plus quoi penser. Je demande à Laeti et Lolo de s’occuper de lui, il en a besoin.

La soupe à la grimace

Pour ma part tout va bien. Mes pieds vont nickel, mes jambes sont loin d’être entamées, je n’ai pas trop chaud. A peu près les mêmes sensations qu’il y a 4 ans au même endroit. Sauf que psychologiquement, même si je suis inquiet pour Denis, je le suis beaucoup moins pour moi. En 2012 je me rappelle avoir été subjugué par l’exigence de cette première partie de course, mais là il n’en est rien. J’ai passé l’écueil sans souci, très à l’aise mentalement, me riant presque des difficultés, les ayant parfaitement en tête. Plutôt que les subir mon esprit s’en nourrit. Et çà c’est plutôt très agréable.

Mon Pey, plus que motiv' !
Autour de moi d’autres bonhommes sont déjà bien « tapés », certains même sous couverture de survie. Cela m’étonne toujours si tôt dans une course. Nous restons environ 20 minutes, le temps de refaire le plein des estomacs et des sacs (super bon saucisson, fromage et sucreries à glisser dans les poches). Toujours rien à redire sur la qualité des ravitos de la Ronda. Si, peut-être une boisson d’effort en libre service surdosée qu’il faut largement recouper à l’eau sous peine d’une saturation en sucre et d’un bide explosé. 
Je suis par contre révolté par le nombre de concurrents passés avant nous ayant laissé leurs déchets et bols de soupe en vrac sur les tables. Ils repartent pour 140 kilomètres et ne sont même pas capables de faire un détour de 3 mètres pour jeter çà dans les poubelles. Grand manque de respect vis-à-vis des bénévoles se cassant les pieds pour eux, et pour les concurrents passant derrière.

 Déchirure et adaptation


J’essaye de faire rire Denis en lui faisant un Usain Bolt montrant le prochain col à atteindre, mais il a le sourire pincé. Les USDR, Francky et son pote Laurent nous encouragent vivement, et nous voilà repartis dans les premières pentes vers le col de la Brexta d’Arcalis. Un petit 500 D+ dans du pur minéral à se farcir qui commence doucement dans les pistes de ski.

Très vite Denis sombre à nouveau. Très vite mon pas attiré par la pente est trop rapide et il se retrouve derrière. Au bout d’à peine 10 minutes il me demande de m’arrêter. « Sylvain, je n’en peux plus ! Je ne sais pas ce que j’ai, j’ai rien dans les jambes. Ca ne revient pas depuis le départ, je ne suis pas dans un état normal ». Il est désespéré. « Je ne vois pas comment je peux continuer comme çà ! ».

On se pose. Il remange. Je le motive. « Allez, tu sais ce que c’est, ça va revenir, on a déjà vécu pire. Faut continuer à avancer ». On repart…pour 10 minutes de plus. Arrivés au « trou du rat » il s’arrête à nouveau. « C’est pas possible Sylvain, je n’y arrive pas. Ce n’est pas possible de se traîner comme çà. Je sais ce qu’il nous reste à faire et comme çà c’est pas possible ».

On s’assoit tous les deux à même le chemin, sur le caillou, très proches l’un de l’autre. Je le réconforte comme je peux « Allez, aujourd’hui, ça ne va pas, mais demain ça ira mieux…t’es dans le creux, ça va revenir ». « Non, j’arrête ». « Prends le temps pour décider. J’appelle Laeti pour rester dans les environs d’Arcalis au cas ou ». Ce que je fais, tout en lui disant de ne pas s’inquiéter et que je la rappelle vite.

A ce moment de grande détresse un concurrent nous passe et avec son accent british nous dit : « Hey, vous deux ! Je vous reconnais ! J’ai lu votre histoire de 2012. C’est magnifique ! Il faut continuer ! Allez ! Vous êtes supers ! ». Incroyable !!! Insensé que ce type, un des rares à avoir lu notre récit, non seulement se retrouve devant nous à ce moment clé mais nous reconnaisse et nous encourage à repartir !!! La magie de l’ultra. Je dis à Denis «Tu vois mon Denis, il faut y aller, il faut écrire une nouvelle histoire putain ! Tu te rends compte on a fait rêver ce type, il faut continuer, pour eux et pour nous ». La magie opère et Denis se relève. Je rappelle Laeti pour lui dire qu’on repart, mais de ne pas s’éloigner.

Les fortes pentes sont là dans le caillou. Je suis à l’aise physiquement mais n’en mène pas large mentalement. Je sais que si nous basculons vers les lacs de l’Angonella les portes de sortie pour évacuer un abandon ne sont pas nombreuses ensuite. Il faut aller au moins jusqu’à Bordes dels Prat Nous à 6 km de là et quelques grosses difficultés entre. Ensuite c’est s’engager sur le Comapedrosa, encore plus périlleux…
Je gamberge, ne sachant plus si je dois encourager Denis à continuer ou à être raisonnable.

Mais voilà qu’au bout d’un quart d’heure, à un tiers de l’arrivée au col, il s’arrête à nouveau. « Sylvain, j’arrête. Je ne peux plus continuer comme çà ». Il est abattu, les larmes aux yeux. Difficile de trouver les mots dans ces moments là, mais j’essaye d’avoir les pieds sur terre. « Ca me fait chier de te dire ça Denis mais il faut bien réfléchir et être raisonnable. S’engager plus avant est risqué, car en plus le téléphone risque de ne pas capter. Si ton état ne s’améliore pas ça peut être dangereux. Mais j’espère que tu ne vas pas regretter ta décision ».

Les concurrents qui nous passent sont plein de condescendance, mais ils ne peuvent rien pour Denis. « Je redescends ». Il a pris sa décision, qui me bouleverse. Nous nous embrassons, nous tenons quelques secondes front contre front. L’instant est d’une grande tristesse car rien ne nous laissait présager ce scénario de course. La décision est dure, mais sage. J’appelle Laeti qui va venir le chercher au « trou du rat ». Denis repart dans la pente, j’ai les yeux qui pleurent. Je lui demande de faire attention et lui dis que je finirai pour lui. A cet instant je perds mon compagnon de voyage, mon Saint Bernard, et j’en suis tout retourné.

Je repars doucement vers le haut, sourd et aveugle à ce qui m’entoure. Mon esprit tourne dans tous les sens pendant quelques minutes jusqu’à ce que je retrouve une concurrente qui nous avait passés et encouragés. Pleine de compassion elle me dit que parfois il faut savoir abandonner, elle en a vécu l’expérience il n’y a pas si longtemps. Je lui explique notre histoire, que nous faisons toujours nos courses ensemble, que c’était probablement le dernier 160 de Denis. Elle me dit « Alors une nouvelle course commence maintenant pour toi, et il va falloir que vous fassiez une nouvelle course… ». Oui, c’est çà. Je me retourne une dernière fois pour apercevoir Denis qui descend toujours, sous l’œil interloqué des autres concurrents.

Il me reste 200 mètres pour arriver au col que je vais mettre à profit pour me remettre l’esprit à l’endroit et organiser mon nouveau plan de course : « avancer étape par étape, se faire confiance, se surveiller régulièrement physiquement et mentalement, et ne surtout pas s’emballer puisque les sensations sont là ». Je suis soulagé de ne plus avoir à surveiller Denis mais je dois désormais faire encore plus attention à moi, car Denis n’est plus là pour le faire. Il me reste 126 km et presque 2 jours à faire sans lui, et çà c’est du jamais fait…

Raid solitaire

Brexta d’Arcalis : le panorama est à couper le souffle. Nous abandonnons les sentiers proches de l’Homme, pour nous engager dans la haute montagne. Descente vers les lacs de l’Angonella. Tout en prudence je me fais plaisir dans celle-ci. Mes pieds sont encore surs et sains. Je double régulièrement les concurrents nous ayant passé depuis Arcalis. Aux lacs je retrouve les deux papys bénévoles avec leurs deux labradors. Je leur dis « Bonjour, vous étiez là déjà il y 4 ans et je vous avais pris en photo ». Ils me répondent grand sourire « Oui, et nous serons là encore dans 4 ans si tout va bien » ! Bon cette année au moins ils ne sont pas dans le brouillard et peuvent profiter comme moi du soleil.

Je repars dans ce 300 D+ vers le Clot Cavall.  Belle pente où je m’arrose des ruisselets, il n’y a pas trop de vent dans cette combe… Je remonte toujours, dans un rythme soutenu en montée. Voici le Clot del Cavall ! Un concurrent est en pamoison devant le paysage incroyable vers le sud du pays : à notre droite le Comapedrosa, en face le col de la Botella, à gauche tout le val de Madriù où nous serons demain. Derrière : ce que nous venons de parcourir. Il me dit « je vais faire ma petite sieste !  Ca nous fait arriver vers quelle heure à la Margineda, vers minuit ? ». « Ah non, au rythme où on est et vu que pour ma part j’ai un retard de 30 minutes, on arrivera pas avant 2h30 du mat’ ! ». « Ah bon ! Et bien pas de sieste… ». Il se relève fissa… 

Et pendant ce temps là, quelque part en Andorre....

Je chemine sur la superbe crête rocailleuse et prends un moment pour ôter les cailloux de mes chaussures. Je fais des grands signes de bâtons en direction de la station de ski de Pal où doit se trouver papa. Grâce au GPS il doit savoir que je suis là. Il va pouvoir me suivre visuellement de loin avec Lolo sur cette crête, puis dans la descente vers Bordes de Prats Nous. J’ai en tête ces 30 minutes de retard. J’aimerai arriver à la Margineda en les ayant rattrapées. C’est à ce moment que je retrouve Anthony. Je lui raconte la mésaventure de Denis.

Nous jubilons à nouveau ensemble devant les paysages, admirons toute la montée du grandiose Comapedrosa. Plus en rythme que lui je le quitte doucement sur la pente descendante. Je ne me rappelai plus qu’elle était aussi raide cette pente. Je veille à bien poser les pieds et à ne pas trop taper dans les quadriceps. Nous en sommes à presque 40 km et 10 heures de course. Tout çà commence à se faire sentir, et il faut surtout bien penser à s’alimenter par petites doses très régulièrement. Je m’asperge et m’abreuve parfois d’eau fraîche des torrents.

Descente cassante et voilà les granges de Prats Nouts. Il y 4 ans je croyais être arrivé au Plat de l’Estany. Mais il reste encore 3 km de faux plats pour l’atteindre. Cela se fait heureusement sous les arbres car il est 17h et le soleil tape dur. En passant au-dessus d’une racine je me fais surprendre par une couleuvre verte et jaune qui détale sous mes pieds. Mon rythme est toujours vaillant, je cours dès que je peux, c'est-à-dire sur des légères descentes, sur les plats, ou sur les petites montées. Lorsque la pente est trop raide rien ne sert de courir.

Je débouche au Plat de l’Estany balayé par un fort vent, incongru dans ce cirque entouré d’immenses montagnes. Je dois même en ôter ma casquette. Voilà le refuge Joan Canut, qui marque le 44° kilomètre. Je suis en meilleure forme qu’en 2012. Je vais pouvoir vite m’alimenter, nettoyer et retalcer mes pieds, et repartir à l’assaut de la bête ! Des concurrents siestent à même la terre ou les cailloux, certains ont les traits déjà bien tirés. Je suis arrivé à 17h18, avec 24 minutes de retard, à la 205° place. Les concurrents passés devant nous depuis Arcalis ont donc été repris. Je ne suis donc pas loin d’être à ma place. J’estime que cela sera fait au refuge du Comapedrosa. Une concurrente étatsunienne en jupette me demande en pointant le Coma « Quelle distance ? Quel dénivelé ? ». Sans même un STP ni un merci lors de ma réponse.


Et pendant ce temps là, quelque part en Andorre....(avec le Coma au loin)

Bon, le gros morceau, il faut se l’attaquer. A contrario de 2012 j’ai eu tout loisir de l’observer dans son intégralité lors de la précédente descente. La montée du Comapedrosa fait ici 900m D+ sur 3 km…une putain de pente ! Mais là aussi aucune inquiétude ! Je l’ai dans l‘œil et dans les jambes. Mon objectif est de le monter aussi bien qu’il y a 4 ans. Je pars tout seul, avec personne en visuel devant. Ca grimpe très raide de suite, du droit dans la pente. Au bout de 100m D+ on entre dans le pur minéral, tout de suite de très gros blocs sur lesquels il faut progresser en choisissant le meilleur pas. A ce jeu je m’en tire très bien étant à l’aise sur le caillou. Je choisi systématiquement de faire des pas réfléchis, à poser sur des parties planes, sur des blocs jugés stables. De sorte je progresse vite, sans l’aide des bâtons (qui sont glissants et déséquilibrants sur les blocs). Je remonte vite quelques concurrents.

A mi-pente je suis toujours bien, pas essoufflé. Lorsque je me retourne je vois le refuge bien en contrebas, c’est assez impressionnant. Je raffole de cette rude pente ! Je progresse toujours. En levant la tête j’aperçois les bénévoles en orange tout en haut sur le pic. J’en informe quelques concurrents à proximité qui ne semblent soit pas comprendre soit être trop fatigués pour répondre. Dernière pente avant le petit col, et quelle pente ! Les blocs laissent place aux petits cailloux fuyants, si érodés que leur finesse rappelle le sable. L’impression de monter une dune. A chaque pas on recule de la moitié de la grimpette. J’y suis en même temps que d’autres trailers dont l’étatsunienne. Le désespoir se lit sur tous les visages. Je remonte en tête. Un petit bloc se détache sous mes pas et dévale la pente. La jupette m’engueule de ne pas crier « Roc ! » pour prévenir ceux d’en dessous. Elle a raison, mais je ne m’en suis même pas rendu compte. Son ton péremptoire commence à me courir à celle là.

Voilà le petit col et la dernière arête sommitale. Du caillou bien acéré et de la belle pente. Il faut faire attention. Je progresse en m’exaltant des paysages alentours. Pas de vent là haut, il fait bon, le ciel est incroyable. D’un coup mon pied gauche passe trop pied d’un rocher. Kkkkrrrrccchhhhh. Ma chaussure vient de s’éventrer sur 8 cm. Le Coma plus fort que les Mizuno. Ce n’est pas alarmant, elle devrait tenir encore 26 kilomètres avant que je ne les change à la base de vie.

Voici le sommet, qui marque pour moi une cruelle déception. Personne ne joue de la cornemuse, posée sur la table d’orientation. J’ai beau demander, les 3 bénévoles sur place font la gueule et ne procurent même pas d’encouragement. Quel contraste avec 2012. Le plus beau moment de la course est pour moi galvaudé. Pas grave, je ne me formalise pas. J’en profite 2 minutes pour casser la croûte et m’offrir un 360° sur le plus haut sommet d’Andorre (2942 m).

Il est 19h05, je n’ai plus que 5 minutes de retard, je suis en 197° position. En 2012 entre le pointage au refuge et l’arrivée au sommet s’étaient écoulées 2h06. Cette année j’ai mis 1h47. Au moment de repartir je vois Anthony arriver. Il a du faire une courte pause et lui aussi une belle montée. Nous sommes toujours tous deux si heureux de nous retrouver et de profiter à fond.

J’attaque la descente, avec un bien plus beau visuel qu’antan. Descente pentue et technique dans les pierres fuyantes pour les 1° 100 m D-. J’adore ce style de descente mais je ne m’emballe pas. Ce n’est pas le moment de se faire mal ou s’abimer les pieds. Je joue des bâtons et des appuis. Je retrouve l’étatsunienne, que je dépasse sans un sourire ni une attention. Je n’ai pas envie qu’elle me fasse ch… dans cette descente. C’est un 500 D- fabuleux jusqu’au refuge du Comapedrosa. Je rattrape Martine qui m’avoue avoir un coup de mou et peiner dans la descente. Je lui prodigue conseil sur le reste de cette section et des encouragements.

L'Estany Negre (crédit photo Andorra Ultra Trail)

On atteint vite les deux lacs de l’Estany Negre. Magnifique vision de ces lacs enneigés entourés de pics acérés. Il faut marcher dessus, en prenant soin de ne pas glisser ou dévisser vers le bas, aidés en cela par des cordes et traces mis en œuvre par les bénévoles. Supers sensations, je quitte petit à petit Martine car nous ne sommes pas dans le même rythme. Je continue ma descente en reprenant quelques concurrents dont un anglais boitant pas. Il me dit que tout va bien mais qu’il va stopper au refuge (je saurai plus tard qu’il a pris une grosse gamelle dès le début de la descente du Coma, se blessant et terminant là ses chances de finir la course).

Voici le refuge, toujours aussi beau et impressionnant. Un des plus beaux endroits de la course pour moi. 19h54, 13h de course, 50 kilomètres et 4200 D+ dans la musette. 188° place (-9 dans la descente) et 15’ de retard (j’étais descendu vite en 2012 faut dire…). Bon, je suis en forme, mais la fatigue commence à taper un peu quand même. Je bouffe tout ce que je peux, dont 3 soupes, de l’olive-fromage (je réitère 2012 au même endroit) et de la charcutaille… Ca rebooste bien les muscles !

Voici Anthony, puis Martine qui se pose à côté de moi dans un grand soupir…PPPffff, éreintée qu’elle est. C’est vraiment dur me dit-elle ! Ah benh oui, et c’est pas fini. Prends ton temps lui dis-je, pas de stress, et tout va aller… Anthony me demande si je repars bientôt. Je ne vais pas tarder mais je l’attends sans souci. Je sors dehors, afin de ne pas rester dans la chaleur du ravito qui a tendance à nous engourdir et à vouloir nous faire rester tant et plus, et pour me retalcer les pieds et faire quelques étirements et assouplissements. Un concurrent repars, affublé des manchettes offertes au raid PPA de cette année. Je l’interpelle, il me dit qu’il a trouvé le raid super. Je ne peux pas le désavouer, l’ayant terminé 9 fois avec mon Denis.


Et pendant ce temps là, quelque part en Andorre....

C’est pas tout, mais le parcours est déjà bien entamé, autant que le bonhomme. Mais je suis super confiant, me sentant en aussi bonne forme au même endroit qu’en 2012. La section qui vient jusqu’à la Botella n’est pas trop technique, alors j’espère pouvoir y arriver avant la nuit. Je repars vers 20h20 avec Anthony, pour quelques centaines de mètres, car l’on préfère chacun rester au rythme qui nous convient le mieux. Je dépasse aussi doucement Martine qui est restée bien moins que moi au refuge. L’ascension vers la Portella Sanfons est courte (350 D+) mais bien raide. Là-haut superbe panorama. Un dernier regard au refuge et au Coma au loin, et je bascule dans la pente douce.

Arrivés à un petit col nous remontons vers la crête qui nous mènera au Port de Cabus (nouveauté pour moi). J’avais repéré cette crête (qui forme la frontière avec l’Espagne) visuellement dans la semaine et elle me donnait très envie. Mais autant la première partie est agréable, autant la seconde est bien casse-patte. J’accuse un coup de mou juste en y arrivant. A ma droite le soleil se couche vers les Hautes Pyrénées et ses majestueux sommets. A ma gauche les rayons horizontaux dardent le Col de la Botella et tous les pics andorrans au-delà. Incroyablement beau, franchement super motivant. Quel pied d’être là putain !!! Bon, voilà comment j’essaye de trouver un peu de réconfort pour m’aider à passer ce coup de moins bien, avec un gel « coup de fouet » en prime.

La crête arrive au Port de Cabus

Paye ta bière USDR !

Le dernier kilomètre de descente vers le Port est très pentu, vraiment hard d’y galoper, alors j’assure. C’est enfin courant sur une sente agréable que je vois au loin mes USDR bien seuls en ce lieu magique. De grands signes de bâtons, et j’aperçois les Belges venus aussi participer à la fête. Alix, Anne-Marie, Jean-Claude, ma famille belge que je vois si peu, me font l’immense honneur et bonheur d’être là à profiter de ces instants. Je m’annonce par un « Jean-Pierre, tu payes ta bière ???!!! ». Bah, oui, je n’ai pas trouvé de rime rigolote et de circonstance avec Jean-Claude… Et nous nous fendons tous d’une belle accolade ! Trop chouette des les voir ici, je prends un petit moment avec eux. L’assistant de Martine est là aussi, Laurent, toujours en kilt et pieds nus. Toujours aussi sympa et jovial il m’encourage avec un grand sourire. Je l’informe que Martine est à quelques minutes derrière.

Papa et Pierre ne sont pas là, car ayant peur que je sois déjà en route pour la Botella (j’ai pourtant 20 minutes de retard sur le prévisio – 21h30). Tous les autres USDR sont ici, mais je ne vois pas Denis. Je les interroge. Lolo : « Denis est reparti ». Reparti !!!!???? Je suis interloqué !

Oui, il est descendu jusqu’au « trou du rat », s’est posé, et en voyant les autres concurrents monter s’est dit « C’est pas possible, je peux au moins aller à leur vitesse, et continuer d’avancer ». Mon « j’espère que tu ne vas pas le regretter » lui a aussi servi d’électrochoc. Fierté ibérique !

Je suis en même temps, heureux pour lui, ébahi par son courage, inquiet de le savoir « tout seul » dans cet état, et interrogatif sur ce que je dois faire. L’attendre ou continuer ? Ca me déboussole un peu mais Lolo me dit qu’il est passé à 20h43 au sommet du Coma, j’ai donc 1h40 d’avance. Bon je vais avancer un peu et je verrais…

Le col de la Botella, en face

Je repars donc pour le Col de la Botella que je vois en face. Les cousins me disent, à dans ¾ d’heure. Oui, à tout de suite, sous leurs rires.


Alix a relooké les fanions

La descente que je croyais fastoche s’avère vite délicate. Du droit dans la pente encore, dans des prairies à vaches andorranes bien cassantes, peu stables et parfois humides. Je pensais courir, et bien c’est râpé. Je descends au mieux en me grouillant quand même pour arriver en face avant la nuit. Faut remonter maintenant, mais là je suis entre chien et loup (ou vache et taureau, dont je me méfie). Je n’ai pas envie de me poser pour choper la frontale alors je récupère vite fait 3 gars devant moi dont l’un est en train d’ouvrir son sac. On attaque la petite (mais diablement raide) montée de 100m D+ ensemble. Fichtre çà pique ! A mi-montée on y voit plus rien, c’est la nuit noire, mais la pleine lune est là pour nous aider un peu. Je me retourne et vois nettement des frontales descendre depuis le Port de Cabus, et d’autres plus haut sur la crête. Impression toujours saisissante de savoir qu’on va attaquer la nuit. Et moi la nuit, j’adore çà….

Mes yeux de Renard me permettent de finir l’ascension. J’entends les USDR papoter juste au-dessus. « Jean-Pierre, tu payes ta bière ??? !!!». Ils s’esclaffent mais ne me voient pas. « Mais t’es où papa ? » me lance Pierre. Ils ne me distinguent qu’au dernier moment, lorsque je mets pied au ravito du col de la Botella (22h19 – 25 minutes de retard – 176°).

Les jeunes USDR plus costauds que la nuit

Grande tablée de bouffe dehors, avec le lampadaire-chauffage, les sièges, les parasols…il ne manque plus que le brasero ! Je me taperai bien une grillade, mais ce n’est pas au menu.

Laeti me cause de l'état de Denis et ça sent pas bon...

Surprenant de voir tous les accompagnants emmitouflés dans manteaux et écharpes. Le jour parti il fait bien frais, mais nous autres coureurs ne le sentons pas. Dans l’effort la chaleur corporelle nous protège.

Les grands USDR : team doudoune :)

Je me pose donc dehors pour manger. Surpris par une soupe peu à mon goût je me rabats sur le saucisson (valeur sûre sur cette Ronda). Je recharge les poches et le camel. Je suis un peu perturbé à ce point par l’affairement autour de moi. Je suis un poil fatigué et j’ai donc du mal à me concentrer. Tout ce monde me gêne un peu. Mais je suis tellement ravi de les voir que je passe outre.

Je vais néanmoins dans le local connexe pour me surveiller les pieds. Vision contrastante d’une 10aine de trailers bien fatigués. Certains dorment, d’autres ont les traits très tirés, un dernier est sous couverture de survie réconforté par sa compagne. Certains se demandent si ils vont continuer. Contraste car je me sens toujours super bien. Mes pieds sont un peu émoussés. Comme il y a 4 ans une première ampoule est là. Je la déchire et la strappe. La douleur sera supportable et elle ne me « gonflera » pas. Pierre est super heureux de pouvoir m’aider, assisté de Laeti. Ca me fait beaucoup de bien de les avoir à mes côtés. Je retalce, passe ma veste et m’apprête à repartir.

La même qu'il y a 4 ans, hein mon Lolo !

Martine arrive à ce moment. Elle est épuisée et a cassé un de ses bâtons. Je lui propose l’un de mes rechanges. Mais tiens, revoilà Anthony ! On en est quittes pour repartir ensemble.

Anthony est dans la place !

Lolo m’annonce Denis avec 2h de retard au refuge du Coma. Bon, il ne semble pas en forme optimale au vue du temps, je vais donc continuer un peu. Ca ne rimerai à rien que je l’attende maintenant, et je suis vraiment dans ma course. On verra quand il arrivera ici et que les USDR auront pu s’entretenir avec lui. Je me demande d’ailleurs comment ils vont faire pour assurer l’intendance avec ce décalage. Papa et lolo me disent de ne pas m’inquiéter. Avec plusieurs voitures ils pourront s’organiser pour nous soutenir tous les 2. Alors nous voilà repartis, à 22h50, dans la nuit que je chéris tant ! 

Le check aux USDR

La seconde partie de la course commence, mais le plus difficile s’approche : la descente vers la Margineda que je redoute depuis des heures et qui commence à m’occuper l’esprit… Bientôt la partie la plus technique de la Ronda sera passée (les 70 premiers km), mais d’abord il faut l’affronter. Nous voilà partis dans la foret, sur un petit sentier super agréable quasiment plat (quasiment hein, faut pas déconner non plus, on est en Andorre…) sur lequel je peux vite courir et enlever la veste. Même scénario, je quitte Anthony, et double 5-6 gars assez vite. Toujours super bien, je profite des quelques ouvertures dans la foret pour zieuter les lumières de La Massana tout en bas et surtout celles des concurrents en train de descendre le Coma au loin. Super ambiance forestière pendant ces 4 kilomètres, je me régale jusqu’au Collada de Montaner marqué par un joli feu de bois des deux bénévoles. L’un deux bois du maté ! La boisson sud américaine dont je raffole. Devant mes yeux ravis et non moins étonnés il me propose d’en boire. Je fais honneur avec grand plaisir et aspire deux goulées dans la bombilla. Trop terrible, le même goût que celle à la maison. Je leur exclame mon bonheur, ils en sont ravis.

J’attaque revigoré la montée de 300 D+ vers la crête du Bony de la Pica. Ca monte sec, comme d’hab’, mais moins droit dans la pente qu’il y a 4 ans, ce qui me surprend. On part complètement à l’est. Au-dessus de moi sur la crête des frontales, encore au-dessus la lune éclatante. Juste devant moi, dans les rhododendrons, un trailer posé sur un rocher. Je lui demande, mais tout va bien. En bas le feu des volontaires brille superbement. Je ne veux toujours pas manger pour garder le goût du maté en bouche mais il faut quand même le faire. A cet instant retenti une explosion, puis une autre. Bien loin en contrebas c’est le feu d’artifice à Ordino, marquant le départ du Célestrail. Bizarre de voir un feu d‘artifice d’au-dessus. Je m’arrête alors quelques instants, pour savourer…à nouveau. Quelle chance nous avons d’être ici, à ce moment ! Je ne m’en lasse pas de cette chance.

J’atteins la crête et m’aperçois que nous allons devoir nous la faire en intégralité pour rejoindre le Bony. Et là il y a spectacle. A droite ce que nous venons de monter, mais surtout à gauche une pente terrible, un vrai à pic rocheux qui dévale sur Andorra la Vielle. La crête est fine…y a ambiance !

La sensationnelle crête du Bony de la Pica (Crédit Photo Andorra Ultra Trail)

A mi-trajet je vois des frontales dans la pente, qui avancent à pas comptés. Dans quelques minutes j’y serai, dans cette descente inégalable.

Bony de la Pica (00h18 – 150°), des bénévoles bienveillants, tour d’horizon, et je m’y lance dans ces 1400 D- en 7 km. A pas comptés oui au début. Une joyeuse troupe de 3 bénévoles fait un bruit du tonnerre. Le gars me dit « allez, c’est difficile pendant quelques mètres et après ça va mieux ». Je lui réponds « tu ne vas pas m’avoir, c’est hard pendant 7 km, je le sais bien, mon coéquipier y est tombé 12 fois il y a 4 ans ». Ils rigolent : « alors essaye de ne pas égaler son record ! ».

C’est sur leurs encouragements que je vois l’étatsunienne arriver derrière moi. Mince la revoilà celle là ! Elle ne leur adresse pas un mot, ni un sourire, alors qu’ils sont plein d’attention. Je réfrène mon élan de galanterie et m’engouffre avant elle dans la pente. Passage de cordes, passages de chaînes, crête rocheuse, puis terre totalement fuyante. Voici le programme des 2 premiers kilomètres. Un truc à vous en dégoutter plus d’un. Mais je fais le dos rond, même lorsque je me prends une pelle terrible. Sur l’un des passages en cordes je m’emmêle les pinceaux et mon bâton vient m’entraver. Vol plané, sur le dos. Ma frontale est tombée, le tibia a cogné, le poignet douloureux depuis ma chute VTT au PPA a choqué. Ouf, rien de grave, juste un doigt en sang qui résonne.

Un peu plus loin je me pose pour faire un strap, arrêter la coupure…et vider de mes chaussures éventrées les dizaines de petits cailloux qui s’y enfilent. Merde, la jupette me repasse. Sans s’enquérir si je vais bien. Complètement hors sujet de l’esprit trail celle là. Je repars et arrive à la fin de cette section super hard. Un feu et 3 bénévoles : « 3 chorizos y  mustard por favor ! ». Mince, ils n’ont pas çà non plus, alors je continue. J’aborde la partie où l’humidité rendait Denis glissant. Mais le terrain sec enlève de la difficulté. Il faut se la payer quand même cette pente. Voici enfin la foret, où je peux recommencer à trottiner. Mais il faut d’abord que les jambes en aient à nouveau envie après ce qu’elles viennent de prendre.

Et pendant ce temps là, quelque part en Andorre....

Plus loin c’est Aixàs, son CP et ses 50 mètres de macadam. Je pense au ravito et ai envie d’une tomate. Au même moment je passe devant un de ces fameux potagers andorran. Mince, elles ne sont pas mûres, et je ne suis pas voleur. Je ne me fais pas surprendre cette fois par la légère remontée au col Jovell, et savoure la descente (dont j’avais oublié la technicité) vers la Margineda. Je mate l’heure et me gargarise d’un timing sympatoche. Je viens de faire un beau chrono depuis la Botella. Il est 2h15, je viens de gagner 35’ sur cette section et j’ai maintenant 15 minutes d’avance sur le prévisio (même si il m’a fallut 2h pour ces 7 km de descente, rendez vous compte).

Dernier lacet, voilà la route de la Margineda…mais pas mes USDR parmi la demi-douzaine d’assistants présents. Ils doivent être short avec l’assistance de Denis donc je file à la base de vie…en courant. Quand je me souviens de l’état de délabrement dans lequel j’étais il y a 4 ans, je me dis que je m’en sors très bien. Je pointe à la 146° place, alors qu’arrivé 176° la Botella : il y a eu du déchet là-haut… Bonsoir à tout le monde, je récupère mon sac base de vie, et j’investis mon recoin préféré de la salle. Je m’installe, je m’étale. Je fais bombance au buffet libre service et toujours pas d’USDR. Soupe et pâtes, miam !

15 minutes que je suis là. Je laisse mes bâtons en évidence pour qu’ils me retrouvent et vais me doucher. Un bien fou cette douche !!! Je me rhabille à neuf et ne retrouve personne. Le hic c’est que je n’ai pas tout mis dans mon sac base de vie, mon assistance a du matos dont j’ai besoin… Donc je ressors et file en courant au bout de la route…où je retrouve Lolo, Laeti et Alix en attente, scrutant leur téléphone.

« Et alors qu’est ce que vous foutez ? » Ils en sursautent presque ! « Ca fait une demi-heure que je vous attends ». En fait ils étaient en train de se garer pendant que j’entrais dans la BV, et le GPS leur indiquant que j’étais à 200m de là ils ne sont pas rentrés de suite dans la salle. Etonnés que le point GPS ne bouge pas ils sont revenus dans la BV pendant que j’étais en train de me doucher…et sont donc repartis en bas. La bonne blague ! Au moment où je les retrouve ils se demandent si je ne suis pas sur une pause caca prolongée juste au-dessus d’eux depuis 20 minutes…

Avec une signalisation comme çà aussi...ils se sont paumés !

Allez zou, retour à la BV. L’étatsunienne est arrivée entre temps. Elle se fait un petit dodo à côté de son assistant. Il n’y a que là qu’elle paraît sympathique… Je peux continuer à manger, finir de me changer, recharger le camel comme il faut, et surtout filer sous les mains du podologue pour ma petite ampoule. Alix est allée chercher papa qui dormait dans la voiture, lui aussi bien étonné de déjà me voir. Je partage mes sensations avec mes USDR, qui tout en douceur savourent eux aussi. C’est chouette ce partage d’émotions !

Quelques instants après la kiné se libère et là je savoure… Deux très jolies demoiselles se mettent simultanément à s’occuper de mes cuisses, sous les yeux envieux des deux podologues et de Lolo. Nonobstant le fait qu’elles soient vraiment charmantes leurs manipulations prolongées m’arrachent des petits couinements appréciés et un soulagement réel. Même si quadris et mollets sont encore en forme cela ne fait pas de mal, et je ressors de là vraiment comblé. Je sens déjà que ce travail est très efficace.

Souffrir a du bon...si si !

Lolo a pu m’informer du retard de Denis à la Botella (2h40). Il lui a dit que je fasse ma course. Bon, et bien comme je n’ai pas envie de dormir je ne vais pas tarder alors. Revoilà Anthony, qui a pris moins de temps que moi ici, déjà prêt à repartir. Il me propose de m’attendre mais je ne veux pas le retarder lui dit d’y aller : « je te retrouverai plus loin… ».


Check de la balise GPS. Lolo et Laeti n'ont pas envie de me paumer dans la noche

J’ai envie d’un RedBull, la boisson de la nuit, alors je décapsule. Je sais, ça peut faire débat, mais ce n’est pas interdit et j’aime çà.

3 assistants pour un bonhomme. Juste du luxe !

C’est joyeux que je m’apprête à repartir. Joyeux car j’ai passé les sections les plus difficiles techniquement et car je suis largement assez en forme pour continuer. Joyeux car Denis est toujours en route et qu’après ces 73 premiers km je vais découvrir maintenant un nouveau parcours avec ces 23 kilomètres et 1400 D+ qui s’annoncent.

Je suis resté 1h35 à la base de vie au lieu des 2h15 prévues, et me voilà avec 1h20 d’avance. Au moment de pointer je vois sur l’ordi que Wil et Pat sont repartis 5 minutes avant que je n’arrive à la BV. Dommage, on ne s’est pas croisés. Ils doivent donc avoir 1h45 d’avance sur moi. J’espère pouvoir les retrouver à la 2° BV au Pas de la Case…dans 57 km.

Pat, Wil, attendez moi !!!

Allez, il est 3h50, la nuit est belle, elle appelle ses Renards. Je salue mes USDR que je devrais pouvoir revoir à Coma Bella. Ils ont le sourire, rassurés eux aussi par mon état de forme.

Des putains de sensations !

Je repars sur la route, croisant des voitures se demandant bien ce que je peux bien faire là à cette heure. Juste au pied de la montée je double un concurrent qui me demande : « Ronda ou Mitic ? ». Purée, il m’a pris pour le 1° des Mitic ! Mais non, ils ne sont pas encore là, ce n’est que moi. Juste après je retrouve Anthony, qui me souhaite une bonne ascension : « prends ton rythme, on se revoit plus tard… ». Et là le rythme on sait vite si il est bon. La pente est terrible d’entrée de jeu. Chemin agréable au touché de pied, mais une vraie grosse pente. Et ça dure, çà dure. Je double un gars et me cale derrière un autre pour ne pas me cramer. Au bout de 30 minutes je prends un coup de moins bien. Obligé de faire 3 micro-pauses et avaler des gels. Ca finit par passer et je ne suis pas mécontent d’arriver en haut de cette belle grimpette de 600 D+  à Cortals Manyat.

Je passe devant la bifurcation des Mitic et me voilà à Certès. Certès, ce point marquant de 2012 où, sous le soleil tapant, j’étais en peine. Je traverse le village dans l’autre sens en retrouvant les escaliers en pierre et le banc où le coude de lolo et son coccyx fêlé avait massé la hanche douloureuse de Denis. J’ai une forte pensée pour eux et tous nos USDR qui nous avaient bien aidés mentalement en ce point. Il fait encore nuit, un peu de bitume (400 mètres, vachement bizarre du coup), je retrouve 3 concurrents au CP. Voilà la cascade rafraichissante puis un sentier pour un nouveau 200 D+. Je suis super bien et n’arrête pas de courir.

Plus loin les champs de tabac où j’avais tant souffert du chaud. Les premières lueurs diaphanes du jour pointent sur les sommets environnants. C’est le meilleur instant des courses. Voir un nouveau jour se lever et être sur les chemins. Je suis euphorique, vraiment super bien. Je descends les lacets en grande forme, l’esprit léger. J’en viens à me demander si je ne me crame pas, mais me dis que si je peux courir je dois le faire. J’ai du doubler une 15aine de mecs depuis la BV. Je retrouve à 1 km de Coma Bella un concurrent avec qui j’avais fait l’arrivée sur Sorteny. Ca y est, je pense que je suis à ma place.

Le jour est juste levé quand j’arrive au ravito de Coma Bella au km 86 à 6h56, à la 122° place. 24 h de course. Je retrouve papa qui m’attend, vraiment surpris de mes 1h15 d’avance désormais. Les autres USDR ne sont pas là, car encore en route…je devais arriver plus tard… Mince je ne vais pas voir ma Laeti et mon Pey avant ce soir ! Lolo lui pique un somme à côté dans la voiture. Bien mérité, je le laisse en profiter.
Je dis à papa : « C’est pas possible, il va se passer un truc. Je ne peux pas garder ce niveau jusqu’à la fin ». J’ai un peu mal aux pieds, mais musculairement peu entamé et sans envie de dormir. Grand silence au ravito. Nous sommes une dizaine, il n’y a pas beaucoup de sourires. Je parle à papa dans un souffle pour ne déranger personne.

Chuuuuuuuuut.......

Il m’informe que Denis est arrivé à la BV de Margineda à 5h22 (3h derrière – il en ressort exactement au moment où j’arrive à Coma Bella, il y a donc 13 km et 800 D+ entre nous). Il est très fatigué et papa doute grandement de ses capacités à continuer vu son état alarmant.
Les deux jeunes bénévoles sont super sympas et je recharge bien les batteries. Je prends un peu de temps dehors pour mettre les jambes en l’air et faire redescendre le sang des pieds. Je suis resté 20 minutes et fais un crochet par la voiture où Lolo sommeille encore. Un bisou pour le réveiller, car ils vont devoir repartir eux aussi.

Bisou mon Lolo

Quel boulot ils font, avec pour eux aussi une vraie fatigue. Deux gars à gérer, en se tapant des kilomètres et des virages en tout sens. Sacrément organisés et courageux nos USDR.


Plaisir solitaire au petit matin

Me voilà reparti pour la grosse bavante de cette seconde partie. Même si nous avons déjà monté il reste 11 km et 1250 D+ jusqu’au pic Nègre. Je m’engage donc alerte dans ce super sentier en foret. Ca grimpe sec avec le soleil qui filtre en face de nous, entre les troncs des résineux. La température est douce, il n’y aucun bruit autre que ceux de mes bâtons et de celui qui m’accompagne, un breton. Je suis toujours bien et économise mes bâtons. Si je peux grimper sans je le fais, ça m’évite un faux rythme et de l’énergie dépensée par le haut du corps, et puis ça me semble plus « naturel », « minimaliste ».  

Nous récupérons un japonais. Il s’appelle Yoshio. Je l’entreprends en anglais mais il nous répond en français ! Alors çà c’est chouette ! Il m’informe qu’ils sont une trentaine sur l’ensemble des courses du week-end dont une vingtaine sur la Ronda. La course est devenue bien populaire au Japon, il n’y a qu’à entendre les mots prononcés par Gérard au briefing pour s’en convaincre…

Nous voici arrivés à la station de départ du Tobotronc du parc Naturalandia. Super parc de loisir où nous avions passé une journée entière avec les enfants, profitant à fond des sensations garanties de ce tobotronc, luge d’été la plus longue d’Europe.

Une petite proposition à Gérard et Valérie : pour ceux les moins en point, leur permettre de prendre l’ascension de 400 D+ du tobotronc sur la luge. Les jambes en hauteur pour récupérer et 400 D+ d’économisés ! Elle serait pas belle la vie ? Je dois avouer que j’y ai pensé dans la montée (Léa m’avait soufflé cette idée il y a quelques jours), mais il aurait été dommage de manquer cette jolie montée bien sèche dans la foret…


Nous arrivons tous les 3 sur le parking de Naturalandia 2000 vers 8h30. Lolo et Jean y sont aussi, seule voiture à cette heure matinale. Jolie ambiance là haut. Je fais une petite pause avec eux puis repart retrouver Yoshio et le breton.

Complicité

Le boisement s’éclaircit sur cette petite pente, puis nous voici au refuge Roca de Pimes (km 93). Heureuse surprise d’y retrouver un ravito avec boissons, bonbons et gâteaux. J’en repars avec Yoshio et le Breton, toujours sur une piste qui devient un ruban à travers un paysage dénué de végétation. De sorte le soleil vient nous chauffer direct. Quelques coureurs sont au loin.

Je profite de la légère descente pour recaler mon rythme, je lâche Yoshio, le breton et deux autres concurrents. Mon ennemi soleil est là, mais je suis content d’être ici si tôt. Donc je décide d’en profiter pour donner du rythme jusqu’au Pic Negre, avant de redescendre dans la forêt du Madriu. Paysage magnifique, lunaire, aride. La montée n’est pas très raide mais assez longue. Le Pic Nègre n’est pas si près que çà. Je marche donc à un bon rythme et trottine quand çà se radoucit. Arrivé vers les crêtes le vent se lève un peu, ce qui fait un bien fou.

J’ai vidé mes chaussures des gravillons au Roca, mais j’en sens déjà de nouveau. Ce n’est pas bon signe, car quand on vide ses chaussures et qu’on en sent encore, c’est que ce ne sont pas cailloux, mais des ampoules… Je me pose donc à même la prairie. Je profite du lieu en même temps que je me restaure et regarde mes pieds. Oui, les ampoules apparaissent, mas pas assez pour les crever toutes. Je m’en « fais » deux et les strappe. Yoshio me passe pendant ce temps là et je lui dis que tout est OK.

Au loin le sommet tout noir du Pic Negre. La végétation devenue très rase s’efface totalement. Nous voici dans du pur minéral aux teintes ocres, grises, noires… Je n’aurais jamais cru voir un tel paysage en Andorre, l’impression de courir sur une autre planète. Le Pic Nègre (km 97, 2645 m), il est 10h10. J’ai 2h30 d’avance sur le prévisio. Cette grande bavante de 1400 D+ depuis la Margineda est enfin terminée. Je la redoutais un peu mais je l’ai drôlement savourée. Super physiquement, dans des conditions météo optimales, mon psycho a jubilé. Le 360° autour est splendide.

Je file dans la légère descente auprès des bénévoles qui me bipent, puis sur cette piste et la crête qui surplombe le val de Madriu. Immense ambiance ! Tout à gauche l’Espagne et la descente d’enfer de cette nuit. En face le parcours d’hier. A droite le Madriu et tout en bas la vallée sur laquelle nous allons aller. J’y aperçois comme des têtes d’épingles d’autres coureurs. Petite surprise quand je vois que le sentier n’y descend pas direct mais prend vers la gauche.

La descente plus pentue commence, et mes « petits cailloux » se réveillent. Voilà, comme d’habitude aux 100 km les ampoules s’allument. Il n’y a rien à faire. Qu’importe les chaussettes ou les chaussures, quelque soit l’épreuve, c’est toujours au même moment que la course de mes pieds change de physionomie. A partir de maintenant je sais que les descentes vont être douloureuses, qu’il va falloir que je fasse vraiment attention à où et comment je pose mes pieds, pour les économiser au maximum. Les bâtons vont vraiment servir. Signe qui ne trompe pas : le Ronda avec qui je cheminais à vue depuis quelques kilomètres me dépose dans la descente.

Ce petit sentier pentu retrouve la foret. Ouf, un peu d’ombre bienvenue. Un peu plus loin je retrouve le chemin des Mitic. Déformais nous allons cheminer de concert pendant 15 km, jusqu’au refuge de l’Illa. La boucle que je ne connaissais pas est terminée. Je me « contrôle » et me compare à 2012. Tout va vraiment bien mieux. Même si les ampoules débutent réellement tous les voyants sont au vert. J’ai surtout un super mental, même si je sais que je devrais bientôt commencer à souffrir de la chaleur.

Revoici un plat relatif qui va m’amener jusqu’au refuge de Prat Primer. Je trottine correctement, rattrapant même quelques Mitic. Au refuge (km 103) je fais un ajout d’eau, je n’étais pas loin de la panne sèche. Je me trouve un coin à l’ombre pour me poser 5 minutes les jambes en l’air. Fermer les yeux et savourer… Que c’est bon ! Je repars en direction du Col del Bou Mort. La bosse de 300 D+ est courte mais très sèche ! Bâtons et rythme tranquillou nécessaires. Sur ma droite la crête descendant du Pic Nègre me surplombe. C’est magnifique. Au col je retrouve un Mitic et lui montre la crête. Cela fait penser à une image du film d’animation de mon enfance, Dark Crystal, avec les coureurs y cheminant. Devant nous les montagnes sont en feu de couleurs minérales chamarrées. Tout cela vous récompense facilement de nos efforts.

Descente technique mais rapide dans la rocaille puis sur un sentier herbeux, avec en visuel le refuge de Claror juste en dessous. Mes pieds se réveillent, je lève le rythme. A partir de maintenant les descentes ne se feront plus en totale course. Je serre les dents jusqu’au refuge pour me réparer tout çà. Il fait chaud, pas d’air dans ce vallon. M’y voici avec 2h25 d’avance, en 106° place (16 places de gagnées depuis Coma Bella – moitié de coureurs doublés + moitié d’abandons je pense).

La Team « Fox Estu’R »

A l’entrée du refuge tout le monde semble souffrir également. Peu de sourires. Je passe la porte en donnant mon classique « Bonsoir », qui ne fait plus rire personne. En réponse j’entends juste un « la tête que t’as ! ». Des bannettes du refuge émergent deux visages embrumées, aux yeux rougis et traits fatigués. Patrice et Wilfried ! Quelle surprise, moi qui ne pensais les retrouver au mieux qu’au Pas de la Case. On est bien heureux de se revoir et nous tapons les mains. Ils ont bien avancé mais Pat a accusé un énorme coup de bambou au sortir de la BV, en montant à Coma Bella. Il avoue que sans l’aide de Wil il aurait certainement abandonné. Ils ont du ainsi lever le rythme et ont eu besoin de se reposer au refuge, où ils sont arrivés il y a 20 minutes. Ils n’ont pas vraiment dormi mais ça leur a fait du bien.

Je les informe de la course de Denis et eux aussi sont bluffés par son abnégation. Nous nous restaurons et décidons de repartir ensemble après que j’ai pu me soigner les pieds et fais quelques étirements, et eux satisfaire à d’autres besoins. Cela va faire du bien de partager un moment ensemble, cela peut nous rebooster. Wilfried me demande de lui décrire la suite du parcours. Je vais leur servir de guide, ils vont me servir de point d’appui physique dans les descentes et rompre un risque de monotonie psycho. Cela fait 20 heures que je navigue quasiment seul, même si je m’en débrouillai plutôt pas mal.


Pendant ce temps, quelque part en Andorre...

Petite descente en partant du refuge puis un relatif replat qui doit nous mener au refuge de Perrafita. « Tu parles d’un replat me dit Wil », mais c’est vrai qu’on reste en Andorre… Le sentier est savoureux. Nous n’avons pas l’habitude de courir ensemble mais nous trouvons nos places. Wil prend les rênes, je le suis, Pat derrière. Ca me permet de me caler dans leur duo et de papoter de nos expériences de la course en stéréo. Wil me dit : « c’est un sacré chantier cette course putain quand même ! On a pensé à toi dans la descente vers la Margineda. Tu nous avais prévenus et tu n’avais pas tort : quel chantier ce passage. Heureusement qu’on en avait gardé sous les pieds avant ! ».

Nous passons Perrafita pour attaquer la Collada de la Maiana. Rude au départ puis se radoucissant, nous y retrouvons des ariégeois qui parlent de leur sortie vélo au plateau de Beille que je croyais dans le Béarn..oh la loose ! A 3 nous faisons des pauses plus fréquentes, chacun ayant besoin d’un truc (manger, se vider les chaussures, pause pipi…) à un moment différent des autres. Au col, profitant de la vue, Pat sort un cadeau Bonux de son chapeau : des crêpes ! Putain des crêpes ! Il se porte çà depuis la BV ! Quelle belle idée, et elles sont au rhum !!! Double bonheur.

Pour engager la descente Wil nous gratifie d’un « Allez, un bon pet de Moraline Motivex et çà repart ! ». C’est bon çà comme expression ! Ca me fait bien rire et on se lance dans la raide pente de 400 D-, qui nous mène vers le rio Madriu, dans ce patrimoine mondial de l’Unesco extraordinaire.

Il fait chaud, vivement qu’on soit en bas pour profiter de l’ombre des pins à crochet. J’ai du mal dans la descente, je passe en queue de notre trio. Je m’accroche mais dès qu’il y a trop de pente ou que le terrain est instable mes pieds me rappellent à l’ordre. La pente s’adoucit, on peut courir à nouveau. Dès qu’un ruisselet se présente nous arrosons les casquettes pour nous rafraîchir. Comme il y a 4 ans il n’y a pas de vent en fond de vallon. Je suis en limite de rupture côté hyperthermie, mais je me rassure avec le Madriu qui s’approche.

Les bénévoles nous y attendent, affalés dans l’herbe en se préparant la grillade. Bip, et c’est parti le long du Riu, pour monter à l’ombre. Nous doublons des randonneurs français qui vont eux aussi vers le refuge de l’Illa. Ils vont être contents avec l’incessant passage qu’il y aura. Nous leur indiquons que nous avons réservé tous les lits… Moment de rigolade. Wil mène toujours, on se rafraichit toujours, le paysage est splendide…toujours. Autour de nous les montagnes sont incroyables. Je leur décris le parcours pour qu’ils ne subissent pas comme moi il y a 4 ans la désillusion de ne pas voir le refuge arriver.

Un hélico nous survole venant du refuge. Pour passer le temps on se remémore nos souvenirs communs de raid. Wil nous dit qu’il serait chouette de former une équipe de raid avec les autres copains Princes Noirs et Naka. C’est le nom d’équipe qui va être dur à trouver avec Renards, Zèbres, Princes, et Estu’R…mais c’est une chouette idée. On croise trois pêcheurs qui descendent à qui je demande si çà mord. Ils ont pris des truites et des ombles chevaliers et vont déguster çà ce soir ! Je partagerai bien leur plaisir.

On commence à tous trois tirer la langue. On se motive car le refuge n’est plus loin, il ne faut rien lâcher. Le voilà, avec à ses pieds une grande tente de médecins. 15h23, 96° place.

Nous sommes un peu cuits. Besoin de faire une grande pause et d’évacuer la chaleur corporelle. Le refuge est étroit mais les bénévoles hyper motivés et serviables pour tous. Dur de trouver un coin à l’ombre pour récupérer. J’hésite mais j’ai la flemme de redescendre à la tente en contrebas pour me faire soigner les pieds, et je n’ai pas envie de faire perdre du temps à tous. Alors je me débrouille tout seul en restrappant et retalcant. Yoshio est là lui aussi. Toujours le même flegme, la même impassivité. Le visage fermé et triste, on dirait qu’il ne prend pas de plaisir à être ici. Pourtant il avance, toujours au même rythme.

Nous repartons tous les 4 pour un dernier petit coup de cul et atteindre le lac de l’Illa. Sur ses berges une quinzaine de pêcheurs à la truite. Ici les Mitics nous quittent, nous allons nous retrouver entre Ronda. Nous revoici avec 2 espagnols. Nous allons faire cette descente côté espagnol en nous doublant les uns les autres régulièrement, au gré des changements de rythme, des pauses de chacun, mais tous dans le bonheur qui se lit sur nos visages…sauf Yoshio, impassible…

Ca tape d’entrée dans les cailloux, j’ai forcément du mal, Wil et Pat temporisent pour m’attendre. Dès que la pente s’adoucit on peut courir et je prends la tête. On s’entend tous trois très bien et avons trouvé nos marques. Arrivés à la cabane dels Esparvers (km 121) nous apercevons des bénévoles pour biper. Je dis au gars : « celle là elle est pour moi ». Car à chaque bip ensemble je ne suis pas en tête. J’engage alors un sprint que les deux autres suivent, puis se relèvent. Je temporise et relance ensuite, Pat me suit. En rigolant autant que les bénévoles surpris (« et ils font çà avec le sourire ») je bipe en tête ! Nous sommes manifestement en 94° position.

Et pendant ce temps là, quelque part en Andorre....

Le jour baisse, mais il fait encore chaud. Il va falloir profiter du prochain raidillon dans la foret car ensuite c’est grand fond de vallée de prairies à vaches. Je prends la tête dans ce vallon d’Engaït. A moi de donner le rythme un peu. Nous sommes plus ou moins tous les 6 encore mais dans le vallon chacun prend son chemin. On dirait des pèlerins en pénitence. Chacun commence à rentrer dans sa bulle pour surmonter la fatigue qui pointe sérieusement et affronter les difficultés personnelles. On fait attention au milieu des vaches, Wil me dit qu’il a vu un coureur se faire courser tout à l’heure dans la montée vers la Botella (moi qui suis passé au milieu…).

Le fond de vallon arrive et il faut lever la tête très haut pour apercevoir le bénévole à la Portella Blanca. Il y a 4 ans j’avais commencé à sombrer ici. Je suis bien mieux, réellement avantagé par ma connaissance du terrain et par le fait qu’il fasse encore bien jour. Mais purée ça grimpe fort, et le corps commence à moins répondre. Un nouveau gel pour me rebooster car là c’est un petit coup de mou. Je m’accroche à Pat et Wil qui sont droit dans la pente au-dessus de moi. Yoshio et les espagnols sont un peu derrière. Voici la Portella qui marque la frontière entre les 3 pays. On essaye de repartir en courant mais sommes vite calmés. C’est un sentier ondulant qui nous mène au lac Estany Negre, mais nous ne faisons qu’y marcher. Pause nécessaire pour souffler et manger. Tous les 3 un peu tapés, Yoshio nous retrouve et passe dans son éternelle attitude de pantin sans expression. Vraiment bizarres ces japonais. Une culture bien différente.

Le soleil commence à passer derrière les montagnes ce qui nous offre une ombre bienvenue. Nous repartons pour le dernier coup de cul vers le col des Isards. Je passe devant dans la zone humide et attaque le col en tête pour soulager mes comparses. Nous repassons Yoshio. Enfin, voici le col au km 126.

Moraline Motivex !

J’ai en tête la difficulté de cette descente en 2012. Mais de jour elle me paraît moins terrible, le Pas de la Case beaucoup plus près. Mon chrono estime une arrivée en bas vers 20h, soit avec 2h d’avance. J’en parle à Wil et Pat, en leur indiquant qu’à ce rythme nous devrions arriver demain vers 10h, soit 51h de course. Wil est super motivé, il nous glisse qu’on pourrait arriver en 48h. 48h me paraissent usurper la difficulté de ce qui nous attend et faire fi d’une possible baisse de régime. Mais 50h me paraissent désormais entendables. Cela m’aurait paru dingue il y a même pas 2 jours, avec mon tableau de marche à 54h35. Mais là cela semble un objectif presque raisonnable. Je me prends à rêver…

Quel plaisir d’être ici de jour. On s’installe pour manger un bout. Yoshio arrive. Je lui dis « ne regarde pas par là Yoshio ! Mange avec nous et tu verras après ». Malgré tout il regarde vers le Pas de la Case et part dans un grand éclat de rire du style : « c’est pas possible ce qu’ils nous ont encore réservé » ! Les deux espagnols arrivent aussi et nous prenons un moment ensemble. Wil regarde en bas et s’exclame à nouveau : « oh putain le chantier ! ». Je lui décris la section : il suffit de descendre dans les cailloux, passer la crête, encore un peu d’éboulis et récupérer la piste qui nous mènera direct au Pas de la Case. Finalement, ça n’est pas si difficile.


La descente sur le Pas de la Case

Allez, je m’y engage en premier dans la descente car je sais que je vais y peiner et perde du temps. Wil s’exclame d’un nouveau Moraline Motivex.

Très vite tout le monde me dépasse. Dans ce passage technique et piégeur mes pieds sont au supplice. Pat et Wil enchainent vite et passent la crête. L’espagnol me double comme un cabri mais je le récupère plus loin, accusant un coup de mou. Yoshio se la joue comme à son habitude : pépère. Voici les éboulis. Mais je vois filer Pat et Wil toujours dans la pente du ruisseau. Mince, nous ne récupérons pas la piste. Je jette un œil au-dessus des blocs, mais l’on ne peut pas passer de l’autre côté du ravin. On descend donc comme l’on peut.

Voici enfin la piste, ouf, je vais pouvoir récupérer et dérouler jusqu’à la base de vie ! Mais non, rien du tout ! Voici que nous avons à quitter la piste et reprendre une sente le long du ruisseau. Sente pentue, peu marquée, traversant cailloux ou zones humides. Difficile d‘y courir, usant pour les jambes, un martyr pour les pieds. Je peste ! Alors que nous pourrions en 5 minutes être à la BV par la piste ils nous font prendre le sentier le plus difficile. Wil m’encourage en me disant que c’est pareil pour tous, que nous y sommes presque. C’est la première fois de la course que je commence à perdre patience. De voir Wil et Pat filer plus facilement m’embête aussi, car je les retarde. Gggggrrrr un ruisseau à traverser comme on peut. Malgré çà les espagnols et Yoshio sont derrière. Wil a raison, on y est tous en peine.

Enfin une section plus courable, où je m’efforce de rejoindre Wil et Pat. Au loin j’aperçois mes USDR ! J’en suis heureux mais un peu atteint psychologiquement.

Pppppfffiooouu...enfin !

Oh rien à voir avec 2012, point auquel j’étais résolu à abandonner. Mais j’accuse un vrai coup de mou tant psycho que physique.

Un renardeau qui me dit déjà : "Papa, quand j'aurai 18 ans je ferai la Ronda"

Les USDR n’ont pas reconnu Wil et Pat, je leur explique la situation, leur indique que tout va assez bien pour moi. Eux ne savent pas où nous étions car les CP ne fonctionnent pas très bien dans le Val de Madriu depuis des heures, et mon GPS ne donne plus signe de mouvement depuis midi. Ils sont donc là à attendre depuis un petit moment. Mais papa m’avait bien reconnu au loin. Je regarde le GPS, qui est débranché. Cela a du arriver au ravito de Claror. Mince !

Suivre la trace des Renards, des USDR, de la Team Estu'R....de l'Andorra Ultra Trail

Ils me donnent des nouvelles de Denis. Il est arrivé à ComaBella à 10h30 (3h30 après moi). Ils ont pu l’encourager jusqu’à Naturalandia. Il alterne entre moments de grande faiblesse et périodes d’énergie revenue. Mais ce n’est pas le Denis que l’on connaît et papa comme Lolo doutent toujours de ses possibilités d’aller plus avant. Au vu de leurs paroles et de leurs regards je m’inquiète aussi. Il est ensuite passé au refuge de Claror à 17h (5 h après moi). Il a donc du beaucoup peiner dans la montée/descente autour du Pic Negre.

La famille de Patrice comme mes USDR nous accompagnent à la BV du Pas de la Case (km 130).

Allez, un pet de Moraline Motivex pour finir !

Nous sommes accueillis par les applaudissements des bénévoles et quelques accompagnants à 19h52, en 96° position. La salle est loin d’être pleine et toute la tribu s’installe dans un coin.

Mais Laeti n’est pas là ! Je m’en inquiète. Elle est en fait passée du côté d’un énorme bloc pendant que je passais de l’autre à l’entrée du Pas de la Case. En essayant de nous rattraper elle a flippé en ne trouvant pas les clés de la voiture, dans laquelle il y a mon matos…10 minutes de speed, les clés étant dans la poche de Lolo… ! La fatigue pèse aussi sur nos USDR ! Mais tout va bien, la revoilou.

Wil vient vers nous pour faire un point. Il a toujours en tête l’objectif de 50h et veut savoir ce qu’on en pense. Pour l’atteindre il faudrait repartir avant 22h, sachant que la dernière partie se fait en théorie en 12h30 (cf. mes références de 2012). Cela incombe de ne passer que 2h dans la BV. Cela va être short pour moi, car il faut que je me fasse soigner les pieds par le podologue, et çà implique de ne pas dormir. Mais ça se tente. On décide donc de se donner cette porte horaire et vaquons chacun à l’opération « reconstruction ». Douche, se changer propre, se restaurer, se soigner, dormir pour Wil et Pat et redécoller.

Douché (ce qui fait apparaître mes beaux coups de soleil aux bras et mollets) je file fissa chez le podologue. Je laisse passer Wil qui n’a qu’une seule ampoule, car pour moi ça va prendre du temps.

Elles sont chouettes nos vacances...

Effectivement les pieds ne sont pas beaux. Je suis attaqué de toutes parts. Les Hoka sont très confortables et vont bien à mes pieds larges. Mais en descente ils ne sont pas assez tenus dans la chaussure et les frottements apparaissent. Au total se sont 10 ampoules déclarées, dont 2 pas assez grosses pour être soignées. Curieusement les crevasses sous les pieds ne sont pas vraiment marquées (merci le talc). Le podologue est assez surpris de l‘état de mes pieds, mais Laeti le rassure en lui disant que j’ai eu pire.

Les USDR vont et viennent auprès de moi pour papoter et m’encourager. Cela fait une grande agitation qui me perturbe un peu mais je veux aussi leur faire partager ces moments. Surtout aux Belges que je ne vois pas souvent. Alix m’a cousine est impressionnée par la course et trouve ça magique, émerveillée par la découverte de ce pays et de ses paysages. Elle connaît le trail, mais ce niveau de difficulté la laisse pantoise.
"Barman, un mojito où je tue le chien !"

Je sollicite énormément Laeti et Lolo (et même Pierre qui est super content), que je tourne presque en bourrique parfois, pour qu’ils aillent me chercher de la nourriture (le combo lentilles-thon-maïs-noix-olives-sauce salade est une tuerie), ou de l’eau ou des ustensiles. Un immense merci à eux qui m’ont drôlement soulagé en ce point. Et puis on a presque plus besoin de se parler, les automatismes sont là…

Pendant ce temps là, dans le ciel andorran...

Le podologue entreprend de me vider les ampoules avec les seringues et remplir certaines d’éosine. C’est un peu douloureux.


J’essaye en même temps de me reposer, allongé sur la table de kiné, un bandeau sur les yeux et les boules Quiès sur les oreilles. Mais je n’y arrive pas, car je n’ai pas envie de dormir et la salle est bruyante. Même si il y a peu d’arrivées il y a du mouvement.

Tu parles d'une sieste :(

Des japonais entrent dans leur look et attitude caractéristiques. Ils sont attendus par un assistant (un tour opérator du trail en Europe) qui les accueille avec leur matériel et un réchaud, et leur concocte leurs soupes de nouilles. Organisation super bien rodée là aussi, mais qui dénote de la notre par les courbettes de salutations réalisées sans cesse entre eux.

Le chantier de mes pieds est énorme, j’y reste 45 minutes. Pendant ce temps Wil et Pat ont essayé de dormir un peu. Il est presque 22 h quand le podo en a fini. Mes pieds sont deux momies. Alix, Anne-Marie et Jean-Claude peu habitués à cela font les yeux ronds. Je n’ai pas eu le temps de faire mes étirements ou de la kiné, mais mes muscles répondent bien. Je n’ai pas eu le temps de mettre mes jambes en l’air pour faire circuler le sang et alléger mes pieds, mais si je veux rentrer dans les temps du nouveau challenge je dois partir avec Wil et Pat. Cruelle erreur…

 Et tout bascule…

Dehors la nuit est tombée. Nous voilà tous les 3 supers motivés pour repartir sur cette dernière section. Tous nos supporters sont là pour nous motiver.

Photo prémonitoire....

Nous avons revêtu buff et veste coupe vent car la différence de température avec dedans est significative. Il est 22h06 quand nous quittons le Pas de la Case, tous les 3 confiants, avec 3h d’avance sur mon planning.


Mais dès les premiers 100 mètres, dès que les USDR ont disparu du faisceau de ma lampe, je ressens une grande gêne dans mes pieds. Ceux-ci beaucoup strappés et gonflés par l’effort prennent beaucoup de place dans mes chaussures. Ce sont deux bouts de bois qui ont du mal à articuler, les doigts de pieds à bouger. Je suis pris d’un mauvais pressentiment.

Je m’accroche néanmoins à Pat et Wil qui filent dans les hautes herbes, le long de l’Ariège ici minuscule torrent. Nous descendons ce ruisseau sur 3 kilomètres, en courant difficilement. Mais nous quittons très vite les vestes. Il fait vraiment bon dehors.

Voici l’antépénultième montée. Une belle bavante de 700 D+ qui nous mène au Port Dret. Et là la situation évolue d’un coup. Nous voilà à remonter le riu Sant Josep, mais sans suivre de chemin. Juste des jalons posés au petit bonheur la chance en surplomb du ruisseau, au travers d’herbes hautes, de zones humides défoncées, sur des dévers parfois abruptes. C’est acrobatiquement que nous cheminons, à la limite de la chute dans le ruisseau parfois. Nous avançons à grand peine, s’aidant à fond des bâtons. Je peste sur cette difficulté dont je ne me rappelai pas. Parfois nous ratons les rubalises car nous suivons le cheminent qui nous parait logique alors que l‘organisation nous fait passer par ailleurs. Une fois je nous remets sur le droit chemin car nous avançons bien en dessous du parcours. Une autre fois nous appelons deux concurrents étant à leur tour bien en contrebas, un peu paumés.

En même temps un terrible coup de fatigue me tombe dessus. En cinq minutes ma situation se dégrade fortement. Wil et Pat progressent comme ils peuvent mais vont plus vite. J‘ai du mal à m’accrocher. Je les informe que je ne peux plus avancer, les jambes coupées par la fatigue, les pieds endoloris au possible. Ils lèvent le pas et m’attendent, me motivent. « On finit la montée, tu dormiras en haut ». Je prends un shoot de fiole de caféine calée dans mon sac au cas où. Il faut dire que je n’ai pas dormi depuis plus de 40h, mais je n’en ai pas du tout ressenti le besoin jusqu’ici. Je suis Wil et Pat dans un état second. La seule chose qui me tient éveillée est la douleur très vive de mes pieds.

A mi-hauteur le sentier devient moins technique mais la pente plus forte. Je m’accroche toujours, la tête dans les chaussures de Pat. Je mange un peu, mais je dors toujours, la caféine tarde à faire effet. Nous arrivons au col à ma grande surprise, je ne l’ai pas vu venir. Au même moment la fatigue s’estompe, et les tentes de l’organisation ne me font plus envie pour dormir. Autour de nous la nuit de pleine lune étoilée est splendide. Des lumières de coureurs un peu partout (nous retrouvons la Mitic).

Comme pour rendre hommage à Denis qui a cet endroit dormait en courant il ya 4 ans, je passe en tête et cours le kilomètre de tronçon plat jusqu’au Pas de les Vasques (km 138). D’ici s’engage la descente de 700 D+ vers le val d’Inclès et son ravito. Mais à mes premiers pas dans la pente mon corps fait bloc. Mes pieds sont mitraillés par la douleur qui se répercute dans mes jambes, jusqu’à ma tête. Je peux à peine avancer. Wil et Pat partent en courant légèrement dans la forte pente. Je ne suis même pas capable de marcher. C’est horrible !!!! Je me force, m’efforce de faire quelques pas. Mes jambes font des enjambées mais mes pieds ne peuvent pas se poser sans douleur, que ce soit sur un caillou comme sur de la terre sans aspérité (même si là ce n’est pas le type de substrat majoritaire…). Les premiers cent mètres de la descente me paraissent infinis. Je m’arrête et suis désespéré.

Je contemple autour de moi la majestueuse beauté des montagnes qui se dessinent dans la lumière de la lune, les frontales qui s’y promènent au loin, les quelques plaques de neige qui ponctuent cela. Le théâtre de ma souffrance est d’une infinie beauté, à la hauteur de mon abattement. Je peste, j’enrage, car je sais d’où en vient la cause. Au lieu de gérer comme à mon habitude en solo mes ampoules j’ai voulu me les faire soigner, qu’on prenne soin de moi. Le podo à cru bien faire mais en y injectant de l’éosine, il a non seulement créé une douleur mais favorisé la reconstruction des ampoules. De sorte je sens qu’une grande partie d’entre elles sont à nouveau bien gonflées. Et je paye aussi mon impasse des « jambes en l’air » à la BV.

Wil et Pat m’encouragent en contrebas. Ils m’exhortent à descendre, à avoir du courage. Je repars mais pas pour longtemps, c’est insoutenable. Je hurle de douleur, tellement que des larmes montent à mes yeux. Des larmes tant de souffrance physique que psychologique. C’est terrible de passer en quelques heures d’un état de plénitude absolue à une souffrance pareille. Au lac de Siscaro je retrouve Wil et Pat. La pente s’est adoucie mais je ne peux plus avancer. Ils m’ont attendu, m’encouragent. Je les engueule, leur disant qu’ils ne peuvent pas comprendre ma souffrance, tellement j’ai mal, et leur demande de filer, de continuer leur route sans moi. Ils ne veulent pas, car on a un objectif commun. Je suis obligé de leur parler crument pour qu’ils comprennent que la situation est pour moi vraiment très difficile. Ils repartent, s’éloignent. Malgré mon train d’escargot peu de coureurs m’ont doublé, mais je suis tellement déçu de cette situation.

Me voilà enfin à 1 km d’Inclès, lieu de notre pic-nic en famille il y a quelques jours. Cette partie où j’étais convaincu de passer en courant va s’avérer être le juge de paix. Y courir m’est impossible, comme y marcher. Je ne peux mettre qu’un demi-pied devant l’autre. Posé sur mes bâtons je chemine à une vitesse inconnue de mon expérience de course. Même en 2012 j’avançais « plus » vite. Même en 2012 je n’avais pas autant mal. Je suis déchiré psychologiquement. Je sais ce qui m’attend, comment sont les 28 derniers kilomètres. Je devrais pouvoir faire les deux dernières montées, mais les 19 km et 1800 D- qu’il reste en descente sont terribles. Comment en venir à bout avec tant de souffrance ? Et à cette vitesse à quoi bon m’infliger 8 ou 10 heures de progression pour tenter de terminer dans tant de douleurs.

Je gamberge beaucoup mais je ne veux pas galvauder cette Ronda dels Cims. Cela peut paraître surprenant mais j’ai envie de garder de cette édition le bonheur procuré jusqu’au Pas de la Case. Je n’ai jamais eu un état de forme pareil lors une telle épreuve dans toute ma longue vie de sportif. Étonnant de préférer abdiquer dans le bonheur d’un souvenir que préférer terminer dans celui d’être finisher à tout prix.

La centaine de mètres qui me sépare du ravito d’Inclès s’achève. Je ne suis pas fatigué mais je suis hagard lorsque je bip. Hagard de souffrance et de déception présentes, de bonheur et de plaisir passés. Je bip tout de même mon arrivée à 1h58 du mat à ce km 142 (même temps de section depuis Pas de la Case qu’en 2012 pourtant…), en 94° position.

Je rentre sous la tente. Wil et Pat sont là. Ils m’ont attendu. Attendu depuis 23 minutes. Le temps perdu dans cette descente est énorme mais ils sont là. Ils m’avoueront plus tard ne pas avoir pu continuer sans s’assurer de mon choix, sans pouvoir me dire au revoir.

Je leur annonce ma décision. J’ai déjà connu le bonheur de finir une Ronda, je sais ce que c’est, et je ne veux pas galvauder cela. « Partez, à vous de connaître çà, moi je ne peux pas continuer, mes douleurs sont insurmontables ». Ils me comprennent, l’accepte. Nous nous faisons de belles accolades et je leur souhaite bonne route. J’ai eu l’immense plaisir de partager ces 14 heures et 40 km avec eux. Nous avons appris à nous connaître mieux et avons forgé de beaux souvenirs ensemble. Ils partent, sans un sourire. Ils me diront plus tard avoir mis longtemps à reparler, touchés par cette séparation. Merci les amis !

Assis sur ma chaise je n’ai envie de rien. Je sais qu’il m’est inutile de répondre aux avances médicales du podologue (qui est très surpris des soins administrés par son confrère, mais il a cru bien faire dans mon cas). Mes pieds sont foutus, je ne peux même plus les bouger. Pour faire les 5 mètres qui me séparent de la table de contrôle je suis tétanisé. C’est sans regret que je leur laisse ma puce électronique, sans une hésitation. C’est l’abandon. J’en informe au téléphone Lolo, qui me dit que Denis vient juste d’arriver au Pas de la Case. Je leur dis de s’occuper de lui, je pourrais attendre au chaud.

Pendant mon attente j’ai le temps de ressasser ma décision car, emmitouflé dans ma couverture, je n’ai pas envie de dormir. Je suis en rage contre mes mauvais choix au Pas de la Case mais paradoxalement pleinement satisfait de ma course et du bonheur qu’elle m’a procuré. N’ai-je tout simplement plus la faculté de surmonter la douleur de telles épreuves (c’est le 3° ultra de 160 km que j’abandonne d’affilée) en y préférant le bonheur fou qu’elles me procurent ? Ou suis-je retombé dans la sagesse de savoir renoncer au bon moment ?

Je suis là à l’inverse image de Denis qui, sur cette course, est en train de repousser très loin ses propres limites psychiques, tout en se mettant potentiellement en danger et n’y trouvant que peu de plaisir.

En tout état de cause je ne suis sincèrement pas déçu, je vous le promets. Je suis tellement heureux d’avoir à nouveau arpenté ces chemins, d’y avoir à nouveau savouré l’incroyable chance que nous avons, trailers, de pouvoir profiter de tels paysages en courant comme on l’aime. Le vrai plaisir d’avoir pu partager cela avec mes USDR, ma famille, Denis, Wil et Pat et mes rencontres de passage. Tellement heureux d’avoir pu surmonter l’absence de mon compère et d’avoir cheminé seul, comme dans un rêve, au top de ma forme. D’avoir découvert de nouvelles sensations sur une course si difficile.


Le voyage s'achève ici...

Au bout de 3h, à 5h du mat’, papa et Lolo viennent me récupérer. Mon corps a lâché et je parviens à peine à monter dans l’auto, transis de froid, mais parfaitement lucide. Denis vient de repartir du Pas de la Case, dans un état toujours aussi alarmant. Ils ne l’ont pas informé de mon abandon. Ils ont bien fait, cela ne lui aurait servi à rien.

Sur la route du retour je pense à mon Denis qui est un sacré bonhomme, et à Wil et Pat en route tous les 3 pour finir leur « chantier ».

Ils sont finishers ! Que j’en suis heureux !

Après quelques heures de sommeil je saute sur l’ordi pour le suivi de course. Pat et Wil sont arrivés à 9h49, après 50h49 de voyage. Leur pari fou n’est pas atteint mais qu’importe, ils ont réussi l’essentiel : être à leur tour finisher de la Ronda dels Cims, en sus dans un super classement (85°/391 partants/211 finishers). Je suis tellement content pour eux ! Arrêtés une heure à Sorteny (km 158) pour soigner les ampoules de Wil, ils se sont donné un point d’honneur à finir en courant « pour te rendre hommage Sylvain, comme tu nous avais dit que l’on ferait tous les 3 ». Sacrés chouettes types !

Denis est lui toujours en course. Nous allons le retrouver à Llorts où il passe pour ses 5 derniers kilomètres. Aucun d’entre nous n’aurait cru le voir ici. Et pourtant nous le connaissons bien. C’est qu’il est allé très loin psychologiquement dans cette course. Trop loin ? Je ne sais pas, lui seul peut répondre. En tous cas, c’est un surhomme ! Dans son état de détresse, à 59 ans, terminer le plus difficile trail d’Europe ce n’est pas rien. Il m’a habitué à des prouesses mais là je suis bluffé. Quel putain de bonhomme !!!

"T'es un surhomme !"
 Sur la ligne d’arrivée que nous avons rejoins je vois arriver Anthony à 15h08 (56h08 de course). Quel bonheur de le voir finisher. Un chouette type que j’ai eu vraiment plaisir à découvrir. Il est étonné pour moi, mais c’est la course. Je le laisse à sa famille, profiter de ces instants de félicité. J’espère qu’on pourra se revoir un de ces quatre.

Quelques instants après Denis en termine, en courant, à la 142° place.

Dernier virage, le plus savoureux

Il revêt le masque des Renards pour la dernière ligne droite, acclamé par la foule rassemblée pour la remise des prix.



Il passe la ligne accompagné de Léa, Pierre et Matthieu.

56h35 ! Seulement 1h de plus qu’en 2012, mais avec 1,5 km et 150 D+ de plus que tous les autres coureurs (aller-retour dans la montée vers le Cataperdis).


Assis sur sa chaise il est hagard. Des bénévoles lui apportent une bière. Il a les yeux dans le vide. Des yeux vides et un visage creusé au possible, marqué par la fatigue. Mais il est heureux. Il peut. Il peut être fier de lui.



Nous nous faisons des œillades, le respect est immense. Ce n’est qu’à la sortie du ravito que je lui dis mon abandon. Il est immensément surpris, mais je le rassure, je ne suis pas déçu.


Yoshio est arrivé un quart d’heure avant Wil’ et Pat’. Martine arrivera elle aussi en 58h24. Tous mes compagnons de course sont rentrés. Mais je ne suis pas déçu.

Tous méritent leur doudoune de finisher

Alors oui, une nouvelle histoire a été écrite.

C’est l‘histoire de « celui qui a toujurs cru pourvoir terminer mais à renoncé, et de celui qui pensait renoncer mais est allé au bout ». Une nouvelle histoire écrite par les Renards comme je l’avais susurré à Denis. Une belle et inattendue histoire oui !

Et je n’ai déjà qu’une envie. Revenir très vite ici pour en écrire une nouvelle…

Fou non ?

Cette histoire n'aurait pas été écrite sans l'amitié et le partage de Wilfried, Patrice et Anthony,


Sans la passion et le professionnalisme de Gérard, Valérie et toute la Team de leur Andorra Ultra Trail,



Et sans l'amour et l'amitié des valeureux, magnifiques et désormais légendaires USDR !



Mille fois merci et bravo à tous!


8 commentaires:

  1. Superbe, je m'y revois à l'aise dans mon Kilt et les pieds au vent. Un sacré truc c'te Ronda.
    A bientôt bel ami traileur.
    Laurent.

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    1. Merci KiltMan. Merci pour tes encouragements bienvenus sur cette fabuleuse épreuve. Je suis heureux que ce fantastique pays et cette incomparable course te plaisent :)

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  2. j'ai ultra adoré : "les difficultés : plutôt que de les subir, mon esprit s'en nourrit" (je me note cette phrase elle peut servir!)
    J'ai ultra adoré le gars qui vous reconnait et qui a lu votre récit : incroyable ! c'était un signe à ce moment de la course!
    J'ai ultra adoré "Jean-Pierre tu payes ta bière?"
    J'ai ultra adoré la Team doudounes ! en effet la Redoute aurait pu vous sponsoriser !
    J'ai ultra adoré les fanions relookés par Alix ;-)
    J'ai ultra adoré le partage de Maté avec les bénévoles : incroyable !
    J'ai ultra adoré "Papa quand j'aurai 18 ans je ferai la Ronda" (et Tatie rajoute : "je serai là pour t'encourager Pey!)
    Merci mille fois pour ce superbe récit qui m'a donné une nouvelle fois les frissons. Merci pour tous ces détails qui me permettent d'être moins frustrée ...
    Quelle belle histoire...vivement le prochain chapitre...

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    1. J'aime ton ultra love de notre histoire ! Réserve tes congés 2017...

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  3. Super récit, très belle course.
    Elle me rappelle étrangement la mienne en 2015. D'ailleurs j'y retourne en 2017 et c'est sur: je me replongerai dans ton récit avant pour y trouver un peu de sagesse... Sportivement.
    Marc.
    Ah: le lien de mon récit http://rundevoo.com/running/mes-courses/annee-2015/26-juin-2015-–-ronda-cims-–-ordino-an/

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  4. bonjour

    avez vous participé a l'edition 2017?

    super le récit 2016.

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    1. Bonjour,
      Oui. J'ai terminé hier matin l'édition 2017, en 49h40. J'en ferai probablement le récit ces prochains jours.
      Cordialement

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